BayrouIl y a des campagnes électorales qui charrient trop souvent des flots de promesses, même le pire.

Et puis, au lendemain, ou plutôt au surlendemain, de la victoire des uns et de la défaite des autres, la réalité impose d’autres choix que ceux qui avaient été annoncés. Et l’on explique que les circonstances justifient ces changements, ces tournants – ces reniements.
Tel est le processus (ou la caricature ?) que François Bayrou décrit, analyse, pourfend et dénonce à l’envi dans son dernier livre intitulé De la vérité en politique (éditions Plon).
De ces analyses et dénonciations découle une question centrale : peut-on gagner en disant la vérité ?
Et émerge une figure, celle de Pierre Mendès-France.
Etonnant destin que celui de cet homme qui ne gouverna que sept mois et est resté depuis lors l’image de l’intégrité et de l’éthique en politique : dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit, quoi qu’il puisse en coûter.
D’autres figures, chères au cœur de François Bayrou, apparaissent dans le livre : de Gaulle, Raymond Barre, Michel Rocard et Jacques Delors.
Des combats sont aussi évoqués, combats chers au cœur de l’auteur, qui y engagea toute sa lucidité et sa force de conviction :
« La privatisation des autoroutes, contre laquelle je dus me battre presque seul jusqu’au Conseil d’Etat, […] fut un exemple emblématique, qui vit, sitôt la décision acquise, les nouveaux concessionnaires, racheter tous leurs titres en bourse pour se retirer de la cote et donc ne plus être obligés de publier leurs bénéfices.
« Et l’affaire Tapie, qui vit l’Etat décider d’attribuer des centaines de millions d’euros, 403 millions disent les rapports les plus officiels (la Cour des Comptes), d’argent public en contournant la décision prononcée par la plus haute instance judiciaire de notre pays, la Cour de cassation en formation plénière ! A cette époque, un réseau d’influence mystérieux, pour des raisons bien plus mystérieuses encore, mais qui devaient être bien lourdes pour que le sommet de l’Etat ne puisse leur résister, multiplia les entorses au droit, à la loi, à la jurisprudence et à la probité pour réaliser la plus importante spoliation du contribuable au bénéfice d’une personne privée » (page 84).
François Bayrou voit dans le fonctionnement bipolaire de notre vie politique un obstacle à ce que la vérité soit dite et entendue. Il fustige un système qui exclut du Parlement « 40 ou 50% des Français » ; c’est-à-dire « toutes les voix non conformes ». Ce qu’il écrit me renforce dans ma conviction de l’utilité que présenterait une part de proportionnelle à l’Assemblée Nationale, conformément à l’engagement de François Hollande. Je souhaiterais, pour ma part, que cette part fût large. J’ai été député de 1986 à 1988. Durant ces deux années, François Mitterrand avait instauré la proportionnelle départementale à l’Assemblée nationale, contrairement à l’avis de mon ami Michel Rocard qui, du coup, démissionna du gouvernement. Je pense que François Mitterrand avait raison. Je ne garde pas un mauvais souvenir de cette Assemblée au sein de laquelle toutes les opinions étaient représentées et j’ai regretté que, dès 1988, Charles Pasqua rétablît le scrutin uninominal.
Mais le plaidoyer le plus fort de François Bayrou est celui par lequel il plaide pour « une politique d’urgence nationale », avec un objectif central : « Restaurer envers et contre tous les forces de création et les forces de production de notre pays », et pour cela faire les efforts nécessaires en matière « d’économie, de commerce extérieur, d’endettement, de déficit ».
François Bayrou y ajoute – comme le fit récemment Antoine Prost dans un article du Monde – un appel à un renouveau de l’école : « Nul ne pourra soutenir, quelles que soient les ressources de mauvaise foi auxquelles il pourrait faire appel, qu’un pays remplit ses obligations à l’égard des citoyens s’il ne leur apprend pas à lire et à comprendre ce qu’ils lisent. La dernière étude internationale publiée sur ce sujet ne laisse aucun doute sur notre échec collectif. La France y est classée au 29e rang des nations en matière de lecture scolaire (CM1) et le commentaire officiel indique que les jeunes Français "sont sous-représentés dans le groupe du meilleur niveau et surreprésentés dans le groupe de niveau le plus faible" » (page 160).
François Bayrou explique largement pourquoi il a choisi de voter pour François Hollande au deuxième tour de la dernière élection présidentielle, s’aliénant une bonne part de son électorat. Il explique l’avoir fait essentiellement pour des raisons éthiques, liées à ses valeurs, plutôt que par accord avec le programme économique du candidat de gauche, sur lequel il a émis de fortes réserves.
Ce fut un choix courageux de sa part.
Je pense toutefois que, dans son livre, il continue de pêcher par un excès de symétrie, en renvoyant toujours dos à dos la gauche et la droite.
En matière scolaire, Vincent Peillon a incontestablement choisi d’agir et de changer le cours des choses, malgré les difficultés et les critiques - qui ne manquent pas.
En matière économique, Nicolas Sarkozy nous a laissé un taux de chômage, une dette, un déficit et un déséquilibre du commerce extérieur aussi considérables les uns que les autres.
Même si Nicolas Sarkozy était plein « d’énergie », il n’a pas – c’est le moins qu’on puisse dire ! – pris les mesures susceptibles d’améliorer les choses dans ces quatre domaines.
François Hollande a pris « le taureau par les cornes ». Il a pris – suite, en particulier, au rapport Gallois – des mesures difficiles et nécessaires pour soutenir les entreprises, maîtriser les finances publiques et donc réduite la dette et le déficit, tout en allant vers une plus grande justice sociale.
Il y a certes, encore, beaucoup à faire. Il y a des améliorations et inflexions à mettre en œuvre. Mais, contrairement à ce que beaucoup disent, le cap est défini. Il reste à continuer d’avancer avec lucidité, courage et confiance.

Jean-Pierre Sueur

 

 

 

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