Henri-Georges Clouzot et Romy Schneider sur le tournage de "L'Enfer"Ce n’est pas un film. C’est un film sur un film qui n’est jamais sorti.
En 1964, on le sait, Henri-Georges Clouzot tourne durant vingt jours un film – qui devait s’appeler L’Enfer – et qui ne verra pas le jour.
Restent 185 bobines – soit treize heures de pellicules – restées invisibles pendant 45 ans.
Il faut rendre grâce à Serge Bromberg et Ruxandre Médéa d’avoir trouvé le moyen d’accéder à ces bobines et d’avoir fait, de ce naufrage magnifique un documentaire à couper le souffle.
Ces vingt jours de tournage ont eu lieu dans le Cantal.
Il y a là le viaduc du Garabit, le train qui le traverse, le lac artificiel et l’hôtel du Lac.
Et Romy Schneider, sublime, somptueusement filmée, avec une inventivité de chaque instant qui fait de chaque image une création singulière.
Et Serge Reggiani, qui, fatigué de courir pour la cause du film, épuisé, finit par s’en aller.
Et puis Henri-Georges Clouzot qui se sent bientôt mal lui aussi et abandonne à son tour.
Restent les extraordinaires images exhumées par Serge Bromberg. Elles sont les héritières de l’esthétique surréaliste : chaque plan propose un réel décalé, refait, à force de maquillages insolites et d’éclairages tournoyants.
Ces images sont aussi les héritières du nouveau roman. Ce sont des fragments. Il n’y a pas de narration. Il n’y a pas d’histoire. On peut évidemment les inventer. Mais rien n’y oblige.
On peut choisir plutôt de se laisser porter par la beauté sidérante qui émane de cette tentative extrême, qui était sans doute vouée dés le départ à ce que l’on a appelé un échec.
Un échec, oui, ce l’eût été si ces trésors étaient restés définitivement engloutis.
Mais ce n’est pas le cas. Le film sur le non-film existe. Il est époustouflant. Je l’ai vu. Je le recommande, dans l’espérance qu’il sera partout visible. Est-ce trop demander ?

Jean-Pierre Sueur
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