fakirChacun connait ce conte de Voltaire intitulé « Candide ou l’optimisme » dans lequel le jeune Candide parcourt le monde avec son maître Pangloss (« Je sais tout »), un grand nombre de catastrophes et de malheurs viennent constamment contredire ces doctes assertions. Si bien que Candide finit par contredire le vieux maître et conclut par cette formule célèbre : « Il faut cultiver notre jardin ». Formule célèbre, mais ambiguë. On peut l’interpréter comme signifiant qu’il faut délaisser à la fois les systèmes philosophiques et les idées politiques et se limiter à la recherche du bien-être dans « son jardin ». On peut aussi l’interpréter, au contraire, comme un projet politique : « Cultiver son jardin », ce serait aménager l’espace, organiser la société, édifier, construire – ce serait, en bref, renouer avec un optimisme de l’action, qui ne pécherait pas par d’excessives illusions.
Pourquoi reviens-je sur cette œuvre de Voltaire ? Parce qu’un livre récemment paru m’y fait singulièrement penser. Il a été écrit par Romain Puértolas, est paru aux éditions Dilettante, et s’intitule bizarrement : « L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikéa ».
D’abord ce livre est drôle. Si vous en commencez la lecture, vous ne pourrez pas le quitter avant la dernière ligne.
Mais surtout, ce livre est profond. Au travers de l’histoire de ce fakir, auquel il arrive de très singulières aventures qui le ballotent, comme Candide, de pays en pays, on croise tous ceux qui sont, eux, ballotés dans des armoires, des fonds de cale, des coquilles de noix, ceux qui dérivent de Lybie à Lampedusa, dans des conditions épouvantables ou reviennent inlassablement à Calais pour tenter d’atteindre l’Angleterre, blottis dans les bas-fonds des poids-lourds.
Ce sont les héros de notre monde. Beaucoup de bons esprits voudraient qu’ils restent chez eux, en Afrique noire ou ailleurs. Mais par rapport aux habitants de ce village qui se sont cotisés pour payer le passeur, envoyer de l’argent là-bas, fût-ce en « vidant les poubelles à Paris », c’est une marque de réussite.
Nous savons tout cela bien sûr. Mais Romain Puértolas le raconte excellemment. Miracle de la littérature : elle dit davantage que les discours (enfin pas tous les discours, soyons justes !).
Ce livre est une réflexion sur le racisme, sur les mœurs commerçantes, sur la grande distribution (Ikea) et sur les ressorts qui régissent notre contemporaine humanité au sein de laquelle le pire côtoie le meilleur – et le meilleur peut l’emporter, comme le montre la générosité d’une célèbre actrice.

Jean-Pierre Sueur

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