Le Sénat n’a pas été appelé à se prononcer sur la récente déclaration de Manuel Valls et sur le programme d’économies qu’il a annoncé.
Si nous avions dû nous prononcer, les deux raisons pour lesquelles je lui apportais mon soutien.
La première raison tient au fait qu’il y a des moments dans l’histoire où la gauche doit faire ce que ni les gouvernements de droite ni les gouvernements de gauche qui ont précédé n’ont fait – et cela dans l’intérêt de la Nation. Ce n’est ni simple, ni facile, mais c’est nécessaire.
Cela fait trente ans que les dépenses de notre pays sont supérieures à nos recettes. Ce ne serait pas grave si la dette n’atteignait pas les proportions auxquelles nous sommes arrivés.
L’un de mes interlocuteurs me disait l’autre jour que durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la dette avait augmenté de 600 millions. J’ai dû le détromper. Ce n’est pas de 600 millions qu’il s’agit, mais de 600 milliards !
Sans doute n’a-t-on pas suffisamment dit en 2012 combien le montant de cette dette était plus qu’alarmant, le commerce extérieur en berne, le taux de chômage en augmentation constante et combien nous perdions chaque année trop d’emplois industriels.
On n’a pas assez dit qu’il était inéluctable de réduire les dépenses publiques et les charges des entreprises pour accroître notre compétitivité.
Je sais, je mesure, qu’il n’est pas facile pour des hommes et des femmes de gauche d’annoncer cela. D’annoncer qu’il faudra faire – je le redis – ce que ni la droite ni la gauche n’ont fait. Et d’annoncer, en même temps que l’effort consenti devait être partagé et que l’assainissement de nos dépenses publiques ne saurait peser sur les épaules de nos concitoyens dont les revenus sont les plus faibles et qui connaissent de grandes difficultés pour vivre et faire vivre leurs familles.
Mais c’est, pour moi, le choix du courage.
Et, sauf amélioration miraculeuse du contexte général, je ne vois pas de solution alternative – même si, j’y reviendrai, le plan annoncé ne saurait être le seul volet de la politique qui doit être menée.

Michel Rocard

La seconde raison tient au fait que je me suis engagé en politique dans la lignée de Pierre Mendès-France, aux côtés de Michel Rocard.
J’ajoute que, bien que rocardien, j’ai toujours entretenu des rapports constructifs avec François Mitterrand, dont j’ai été le ministre dans deux gouvernements successifs.
Michel Rocard a apporté à la gauche le sens du réalisme économique. Il a souvent dit que si on cessait de compter, c’est la peine les hommes et des femmes qu’on ne comptait plus.
Il a contribué à réconcilier la gauche et l’entreprise.
Les valeurs de l’entreprise ne sont pas des valeurs de droite.
Ce qui est de droite, c’est que l’acte d’entreprendre soit réservé à ceux qui détiennent le capital, à ceux qui en ont hérité et que le produit du travail aille de manière excessive et immorale aux dividendes plutôt qu’à l’investissement et à la rémunération des salariés.
Ce qui est de gauche, c’est que la capacité à entreprendre soit largement partagée.
Mais je reviens au nécessaire réalisme économique. Il appelle les solutions courageuses qui sont prises.
Aussi est-ce en raison d’une fidélité à une histoire que j’ai apporté mon soutien au Premier ministre.
J’ajoute que, pour indispensable qu’il soit, ce plan ne suffit pas.
Puisqu’il faudra choisir dans les dépenses publiques, il sera nécessaire de désigner les réelles priorités. Rares sont les dépenses inutiles, mais toutes n’ont pas le même degré de priorité, au plan national comme au plan local.
Il sera impérieux de privilégier la justice, et d’expliquer clairement pourquoi et comment les choix privilégiant la justice sont faits.
Enfin, la France est un pays où l’épargne est abondante – et même très abondante.
Il y a un vrai paradoxe dans le fait qu’une part trop faible de cette épargne finance nos investissements.
Cela vaut à la fois pour la France et pour l’Europe – et cela porte lourdement et inutilement préjudice.
Alors, il est grand temps de créer ou de favoriser les dispositifs qui permettront de transformer l’épargne en investissements – et donc en créations d’emplois.

Jean-Pierre Sueur

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