Avec l’afflux des réfugiés, d’une façon ou d’une autre, sortir la Grèce, sinon du concert européen, du moins de la « zone euro ».
C’eût été le début, le premier acte d’un « détricotage » de la monnaie unique, fruit d’une longue histoire et de fortes volontés rassemblées.
Avec l’arrivée de nombreuses personnes cherchant asile et refuge face à la terreur et à la mort, le même dilemne se pose, plus gravement encore.
On voit bien qu’un chemin existe qui consiste à renier Schengen, à revenir à des frontières autour de chaque État et à une addition de stratégies nationales définies – du moins dans certains États – sans considération pour la construction européenne et pour les règles que l’Europe s’est fixées – même si, je le sais, les accords de Schengen prévoient la possibilité de retours temporaires à des frontières nationales dans des circonstances exceptionnelles.
Ce chemin, c’est, ce serait – restons-en au conditionnel – un vrai retour en arrière. Ce serait aussi le « détricotage » de ce qui a été patiemment construit.
Il est une autre voie.
Elle consiste, pour les migrations – comme pour l’économie et les finances – à considérer que les problèmes auxquels nous devons faire face appellent à plus d’Europe et non à moins d’Europe.
Plus d’Europe, cela signifie :
1. accepter un partage équitable entre tous les pays des réfugiés accueillis ;
2. prendre les moyens de gérer efficacement les frontières de l’Europe au plan européen, plutôt que de se défausser sur quelques États du sud, qui n’ont pas les moyens, à eux seuls, d’assumer cette tâche ;
3. se donner, au niveau de l’Europe, les moyens de lutter efficacement contre les passeurs ;
4. coopérer avec les pays qui accueillent un nombre considérable de réfugiés à proximité de la Syrie et de l’Irak (comme le Liban, la Jordanie et la Turquie) et les aider dans leur tâche.
Ces dispositions ne sont pas exhaustives, tant s’en faut.
Mais dans ce domaine, qui présente un caractère crucial et dramatique, comme dans les autres, on voit qu’il n’y a que deux chemins.
Le premier est celui de « moins d’Europe » et donc du repli et du renoncement. Même s’il satisfait des fractions non négligeables des opinions publiques, il aboutit, en fait, à des impasses.
Le second consiste à dire qu’il faut plus d’Europe, qu’il faut plus de puissance publique en Europe, ou, pour mieux dire, que l’Europe soit davantage une puissance publique.
Cette voie est celle du courage, du pragmatisme et de la raison. Elle se traduira par de nouvelles avancées dans la construction européenne.
Ce sont d’ailleurs souvent les crises qui font avancer l’Europe.

Jean-Pierre Sueur

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