Une fois encore, je rendrai hommage à Jean-Louis Pierre, spécialiste des œuvres de Ramuz qui a créé dans notre région Centre-Val de Loire une maison d’édition, La Guêpine, qui publie des textes souvent inédits ou mal connus, de haute qualité. Ainsi en est-il pour le Voyage au Mont-Blanc de Chateaubriand, pour le texte de Claude Louis-Combet sur Péguy ou cet autre texte majeur d’Albert Camus paru dans Le Soir républicain.

Cette fois, il nous livre quatre textes d’un pamphlétaire trop oublié qui s’en prenait aux autorités de la Restauration, dans un style qui s’inscrit en pleine continuité avec ceux de La Fontaine, de La Bruyère ou du Voltaire des Contes : il s’agit, bien sûr, de Paul-Louis Courier.

Le « florilège » que nous offre le préfacier, Jean-Pierre Lautman, se compose de quatre textes qui sont de vrais pamphlets, féroces autant qu’ironiques et souvent délicieux dans leur expression. Il s’agit d’une Pétition aux deux Chambres, d’une Lettre au rédacteur du Censeur, d’une Adresse aux âmes dévotes de la paroisse de Veretz, département d’Indre-et-Loire et d’une Pétition à la Chambre des députés pour des villageois que l’on empêche de danser.

Tout un programme !

Jean-Pierre Lautman écrit justement : « Égratigner et non poignarder, fatiguer et non anéantir, piéger et non s’exposer, telle est la nature du pamphlet selon Courier. »

Jugez-en par ces quelques extraits :

« Le secret est l’âme de toute opération militaire. À minuit, on monte à cheval ; on part ; on arrive sans bruit aux portes de Luynes ; point de sentinelle à égorger, point de poste à surprendre ; on entre, et au moyen de mesures si bien prises, on parvient à saisir une femme, un barbier, un sabotier, quatre ou cinq laboureurs ou vignerons, et la monarchie est sauvée. »

« On recommande à vos prières le nommé Paul-Louis, vigneron de La Chavonnière, bien connu dans cette paroisse. Le pauvre homme est en grande peine, ayant eu le malheur d’irriter contre lui tout ce qui s’appelle en France courtisans, serviteurs, flatteurs, adulateurs, complaisants, flagorneurs et autres gens vivant de bassesse et d’intrigue, lesquels sont au nombre, dit-on, de quatre ou cinq cent mille […], car ils l’accusent d’avoir dit en taillant sa vigne : "Qu’eux, gens de cour, sont à nous autres, gens de travail et d’industrie, cause de tous nos maux ; qu’ils nous dépouillent et nous dévorent au nom du roi, qui n’en peut mais ; que les sauterelles, la grêle, les chenilles, le charançon ne nous pillent pas tous les ans, au lieu que lesdits courtisans s’abattent sur nous chaque année […]" »

« Jésus avait dit : Allez et instruisez. Mais il n’avait pas dit : Allez avec des gendarmes, instruisez de par le préfet. »

Je terminerai en citant un extrait, incroyablement actuel, tiré de la Pétition aux deux Chambres : « On mande de Berlin que le docteur Kinkausen, fameux mathématicien, a depuis peu imaginé de nouveaux caractères, une nouvelle presse mobile, maniable, légère, portative, à mettre dans la poche, expéditive surtout, et dont l’usage est tel qu’on écrit comme on parle, aussi vite, aisément : c’est une tachytipie. On peut dans un salon, sans que personne ne s’en doute, imprimer tout ce qui se dit, et, sur le lieu même tirer à mille exemplaires toute la conversation à mesure que les acteurs parlent […] Je vous laisse à penser, Monsieur, quel déluge va nous inonder, et ce que pourra la censure contre pareil débordement. »

Dois-je rappeler que Paul-Louis Courier est mort assassiné le 10 avril 1825.

Jean-Pierre Sueur

  • Ce livre peut être commandé aux éditions La Guêpine, 10 mail de la Poterie, 37600 Loches. Prix : 13,90 €