Les « Chèques », c’est un peu la cathédrale de La Source. Lorsque j’y suis arrivé, en 1973, je ne vis d’abord que cet immense vaisseau de métal, de verre et de béton, qui dominait tout.

Bientôt, j’habitais une rue où toutes les maisons, sauf deux, étaient habitées par des postiers.

Avec leurs milliers de salariés, les « Chèques » étaient le cœur battant de La Source.

Qui, à La Source, n’a pas fréquenté le centre culturel des « Chèques » ? Nos enfants allaient à la danse, à la piscine. Il y avait la chorale. Et même une épicerie. Nous faisions du sport à l’ASPTT. Je souhaite ardemment que la Poste continue de financer l’ASPTT et que France Télécom qui s’appelle désormais Orange – un joli mot ! – revienne sur sa décision de cesser tout financement à l’ASPTT. Il paraît que les gens préfèrent les prestations individuelles. Que les restaurants d’entreprise se voient préférer les « chèques restaurant ». Et que tout est à l’avenant.

« Les Chèques » furent, au contraire, un haut lieu du social, du syndicalisme, du mutualisme, de la politique.

Aux « Chèques », comme dans beaucoup de rues de La Source – finalement, dans toutes les rues – les gens venaient d’ailleurs. Ils ne pouvaient venir que d’ailleurs, vu qu’avant il n’y avait rien : deux fermes, des arbres, des lapins…

Il y avait les rapatriés d’Algérie, de jeunes ménages venus de toutes les régions de France, puis du Maghreb, puis de partout.

Cela créait de puissantes solidarités. Pas de tradition. Pas le « qu’en dira-t-on ? » de nos villages. Juste la vie à partager. Ensemble. Nous aimions les venelles qui permettaient aux enfants d’aller à l’école à pied puis au collège à vélo. Et les passerelles. Toutes sortes de passerelles…

J’ai été élu député en 1981. Député d’une vaste circonscription… et de La Source. J’ai su, par d’innombrables témoignages que nombre de postiers avaient voté pour moi. Peut-être – ou sans doute –, sans eux n’aurais-je pas été élu, puis réélu à divers mandats. Je ne l’ai pas oublié.

Pendant longtemps, je suis intervenu chaque année lors du vote du « budget annexe des PTT ». C’était pour moi un devoir. La figure militante et truculente à la fois de Louis Mexandeau dominait le débat. Il se faisait le chantre du Service Public.

Encore aujourd’hui, chaque fois que l’on présente « La Poste » comme une entreprise, je complète en disant que La Poste est une entreprise de service public. Service public, c’est une expression forte, digne. Elle ne mérite ni d’être galvaudée, ni d’être oubliée.

Devenu secrétaire d’État aux collectivités locales, j’apprends que la direction régionale de La Poste va être transportée d’Orléans à Clermont-Ferrand. Mon sang ne fait qu’un tour. Je n’oublie pas qu’avec son quartier de La Source Orléans est la plus grande ville postière de France. D’ailleurs, grâce aux « Chèques » on connaît La Source dans la France entière. Et donc, je convoque littéralement le président de La Poste, M. Cousquer, dans mon bureau. Et c’est ainsi que, pour compenser le départ de la direction régionale, nous obtiendrons l’arrivée à Orléans de la direction de la formation et du recrutement – que nous rebaptiserons « Université de La Poste » –, en face du théâtre, près de la future avenue Jean Zay, ce qui nous confortera en notre qualité de première ville postière de France – même si, hélas, au fil des années les effectifs des « Chèques » ne cesseront de diminuer.

… Et puis, il n’y aura bientôt plus de « budget annexe des PTT ». Cela ne m’empêchera pas de suivre, désormais au Sénat, les dossiers de La Poste.

Il y eut toute la question de la Banque Postale, dont je me suis souvent entretenu avec Jean-Claude Bailly, que j’avais connu alors qu’il était président de la RATP et que je travaillais sur la politique de la Ville – il voulait qu’il y eût un lien étroit entre transports et urbanisme –, et qui était devenu président de La Poste.

C’était une vieille affaire. J’avais plaidé à de nombreuses reprises pour que La Poste pût faire des prêts aux particuliers. Je me souviens du cher Pierre Bérégovoy, à qui j’en parlais, et qui me fit part de son impuissance, qu’il regrettait, face à la si puissante Association Française des Banques qui refusait absolument que le service public le mieux implanté de France – La Poste – fût en mesure d’apporter les fameux prêts aux particuliers.

D’autres, parmi les salariés, s’insurgeaient qu’on pût utiliser le terme de « Banque Postale ».

J’étais pourtant persuadé qu’à l’heure de l’ouverture et de la concurrence européenne, il aurait été impensable, et même suicidaire, que la Poste française fût la seule à ne pouvoir se doter de cette Banque Postale et de la capacité à proposer des prêts aux particuliers.

Ce fut une rude bataille. Je me souviens même qu’une grande banque française – qui se reconnaîtra – alla même jusqu’à ouvrir un nouveau contentieux devant les autorités de Bruxelles alors que la décision était imminente.

Avec la Banque Postale, la Poste disposa à coup sûr d’un nouvel atout – et les services financiers de La Source au premier chef – même si cela ne suffirait pas à enrayer la diminution des effectifs.

Et puis j’appris brusquement, dans des conditions, sur lesquelles je préfère ne pas revenir, la décision de fermer d’ici quelques années le bâtiment « de grande hauteur » de La Source.

À vrai dire, nous étions nombreux à nous douter que cela arriverait, en raison de normes toujours nouvelles.

Là encore, mon sang ne fit qu’un tour, et je me retrouvai dans le bureau de Philippe Wahl, actuel président de La Poste, au siège national, boulevard Vaugirard à Paris.

Sa position était claire. Pour « reloger » les « Chèques », il demanderait qu’on investiguât toutes les friches industrielles de l’Orléanais… Il était, pour lui, lors de cette première entrevue, hors de question de construire un bâtiment neuf, ni plusieurs. Il donnait ce qu’il pensait être l’exemple en vendant les bâtiments de la direction nationale de La Poste boulevard Vaugirard, qui allait s’installer dans des locaux loués, à Issy-les-Moulineaux… Je rétorquai que ce plan me paraissait impossible, que les « Chèques » ne devaient pas s’éloigner de la Source. Qu’ils en étaient le cœur. Et qu’on ne trouverait à proximité aucune friche industrielle adaptée.

Avec Olivier Carré, devenu maire d’Orléans, nous revînmes à la charge, chacun de son côté, puis ensemble.

La ténacité, mais aussi le simple réalisme, finirent par payer.

Philippe Wahl revint sur ses premiers propos. Et, on le sait, les « Chèques » s’installeront dans des locaux neufs, à quelques centaines de mètres de La Source, pour les services tertiaires, et à La Source pour les services techniques.

… Et l’histoire des « Chèques » continuera.

 

Jean-Pierre Sueur