Le limogeage par Nicolas Sarkozy du préfet de la Manche et du directeur de la sécurité publique de ce département est symptomatique de l’évolution du pouvoir en place.
Que reproche-t-on à ces deux hauts-fonctionnaires ? On leur reproche de ne pas avoir évité que les oreilles présidentielles fussent contraintes de percevoir les clameurs venant des 3 000 manifestants qui se pressaient… à une distance raisonnable du lieu où Nicolas Sarkozy s’exprimait. Quelle faute en effet !
Aurait-il fallu qu’ils interdisent la manifestation ? Mais le droit de manifestation et le droit d’expression étant tous deux garantis par la Constitution, c’eût été assurément une faute – et, je l’imagine, une faute susceptible d’être sanctionnée… – que de prononcer une telle interdiction.
Alors fallait-il repousser la manifestation plus loin, très loin, à des kilomètres, afin que ni la vue, ni l’ouïe, du président n’en fussent offusqués ?
On n’ose imaginer en outre que, s’agissant du préfet, le fait qu’il fut un collaborateur de Dominique de Villepin constituât une nouvelle circonstance aggravante…
Notons bien que les événements de la Manche sont loin d’être isolés.
On se souvient qu’à Orléans La Source, tout le dispositif de sécurité avait été conçu naguère de manière à ce que les quatre ministres en déplacement (pas moins !) ne rencontrent aucun autochtone !
De même, lors de la récente visite à Orléans du président de la République, tout avait été fait pour que ce dernier ne rencontrât aucun éboueur, ni aucun passant d’ailleurs – aucun manifestant, cela va de soi ! –, en bref qu’aucune rencontre et qu’aucun dialogue d’aucune sorte ne perturbassent le bel ordonnancement prévu pour la délivrance du message présidentiel.
Dès lors, une question vient à l’esprit : pourquoi tous ces déplacement s’il faut à chaque fois déployer un véritable no man’s land autour de l’auguste visiteur ?
Ne serait-pas plus simple et moins coûteux qu’il s’exprimât de l’Elysée, maison excellemment gardée ?
Les événements de la Manche sont symptomatiques d’une certaine conception de l’exercice du pouvoir : repoussez ces manifestants que je ne saurais ni voir ni entendre, semble dire le maître des lieux !
C’est, à n’en pas douter, le même état d’esprit qui le conduit un jour à annoncer qu’il nommerait lui-même le président de France Télévision, un autre jour à mettre en cause le droit d’amendement des parlementaires, un troisième jour à annoncer urbi et orbi la suppression des juges d’instruction.
C’est, en un mot, une conception autoritaire du pouvoir.
C’est cette conception, qui va de pair avec la gestion injuste de la crise, qu’ont récusé les millions de Français qui, dans toutes les villes de notre pays, se sont exprimés le 29 janvier dernier. C’étaient de fortes clameurs qui venaient de partout et rendaient les limogeages d’hier aussi dérisoires que des accès d’impuissante colère.

Jean-Pierre Sueur

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