Préface du livre d'Antoine ANDERSON.

Editions Syros - octobre 1998 Il FAUT SUBSTITUER UNE « LOGIQUE DE PROJET » À UNE « LOGIQUE DE GUICHET » :
tel me paraît être l'un des postulats essentiels du livre d'Antoine Anderson, qui s'inscrit pleinement dans le mouvement de renouveau qui nous conduit aujourd'hui à repenser profondément les politiques de la ville.
Il y a, certes, un acquis incontestable des politiques de la ville. Sans elles, la situation serait pire. Mais en dépit de tous les efforts qui ont été accomplis, le constat que nous sommes amenés à faire aujourd'hui est préoccupant. Au cours des deux dernières décennies, la ségrégation s'est accrue, la « mixité sociale », dont on parle tant, a régressé. Les services publics sont malheureusement moins présents, eu égard à leur nombre d'habitants, dans les quartiers sensibles qu'ailleurs en France.
Il est donc clair que si l'on se contentait de « prolonger les courbes », si on laissait les choses aller selon la « pente naturelle », nous nous trouverions demain dans une situation très critique : six cents ou sept cents quartiers auraient « décroché » par rapport au reste de la société, de telle manière qu'ils s'enfermeraient inéluctablement dans des logiques de « ghetto » et, en tout cas, dans des logiques de relégation dont on mesure déjà les effets.
Ce serait grave, au premier chef, pour les habitants de ces quartiers. Mais ce serait également grave pour la société tout entière car une telle logique serait lourde de révoltes et de désespoirs. Alors, il faut réagir. Il faut aller de l'avant, proposer une grande ambition pour ce pays, une forte mobilisation, comme j'ai eu l'occasion de le faire, avec d'autres, dans un rapport récent.
Je suis persuadé qu'on ne sortira des difficultés de nos villes et de nos quartiers que « par le haut ».
Les politiques réparatrices n'ont pas manqué. Les rénovations trop superficielles non plus. Il faut aujourd'hui ne pas craindre d'affirmer une vraie ambition pour les quartiers qui vont mal. Cette ambition doit concerner l'habitat, l'urbanisme, l'architecture : chacun doit pouvoir être fier de son cadre de vie quotidien. Elle doit aussi concerner l'emploi, la formation, la culture, le sport, la prévention, la sécurité... Tout se tient. Cessons de dire que l'urbanisme et le bâti sont « neutres », que ce qui compte c'est le « reste ». Ne laissons pas croire, symétriquement, que la recomposition urbaine est la seule réponse aux maux de ces quartiers. Il y a là autant de faux débats. La vérité, c'est que les causes du mal sont multiples, que les remèdes sont pluriels et qu'il faut tout mener de front.
La clé, c'est le projet, l'ambition partagée. Qui croira que dans ce pays, qui est l'un des plus riches du monde, on ne puisse trouver les moyens de «refaire» ou de transformer profondément les secteurs urbains qui vont mal afin que les choses changent vraiment et qu'on y vive mieux ? De même qu'on a su faire un grand plan autoroutier, un plan TGV ou la fusée Ariane, on peut demain mobiliser les ressources nécessaires pour répondre au défi considérable que constitue l'avenir des banlieues et des quartiers périphériques.
Mais, pour atteindre ces objectifs, on ne doit plus se contenter d'oeuvrer à l'intérieur des périmètres des quartiers considérés. Nous avons, en quinze ou vingt ans de politique de la ville, abusé des « périmètres ». Les zonages de toutes sortes se sont additionnés, superposés, enchevêtrés. On peut même se demander si, contrairement aux intentions affichées, la multiplication des « zonages » n'a pas contribué à la stigmatisation des quartiers concernés.
C'est pourquoi il ne faut plus « refaire un quartier sur lui-même », ce qui est une autre manière de le confiner dans un avenir qui restera lié à son passé. Il faut, au contraire, mener la rénovation sur des aires urbaines beaucoup plus larges, y construire des formes d'habitat diversifiées, y mêler le logement, l'activité, le tertiaire, le commerce, l'art, la culture, retrouver les chemins de l'urbanité, qui est faite de transitions, de jointures, de convivialités, de rues, de places et de ruelles, d'espaces qualifiés, connus, appropriés. La ville de demain ne sera pas un retour à celle d'hier. Il nous faut l'inventer en pariant sur la multipolarité, la plurifonctionnalité et aussi sur des formes diverses et complémentaires de mobilité accessibles à tous.
Cela concerne tout autant les entrées de ville, souvent dégradées, les cours de ville, parfois dévitalisés, que les quartiers périphériques en difficulté. Cela concerne la totalité du tissu urbain.
Et c'est pourquoi on en vient nécessairement à parler de l'agglomération car la ville réelle d'aujourd'hui correspond à l'aire de l'agglomération urbaine. Il est clair que c'est à cette échelle qu'il faut définir et mettre en ouvre les grands choix stratégiques.
C'est pourquoi l'agglomération est le bon niveau pour élaborer et appliquer des contrats d'un nouveau type avec l'État, portant sur les grands enjeux et couvrant une période suffisamment étendue : le temps de la ville est long, plus long que celui des échéances politiques.
Il faudra bien sûr articuler les compétences de l'agglomération et celles des communes. Il faudra aussi définir ce qui peut et doit être fait au niveau de chaque quartier, car il n'est pas de politique de la ville ou de politique urbaine crédible sans participation des habitants.
Le grand mérite de l'ouvrage d'Antoine Anderson est de nous aider à avancer sur toutes ces questions à partir d'analyses précises et d'expériences concrètes.

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Thème : Collectivités locales