Jean-Pierre Sueur a interpellé le 14 janvier au Sénat le gouvernement sur l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes de Radio France internationale (RFI), survenu le 2 novembre 2013 dans la région du Kidal au Mali. Il a déclaré : « Ces deux journalistes ont été enlevés par quatre hommes armés avant d'être abattus quelques kilomètres plus loin. Selon les enquêteurs, le véhicule des ravisseurs serait tombé en panne et ces quatre hommes auraient éliminé les deux otages avant de prendre la fuite. Cependant, plusieurs zones d'ombre restent à éclaircir.

1/ Ainsi, il a été découvert, suite à la déclassification d'une partie des documents liés à ce sujet, que le chef du commando était connu des services de renseignement, ayant été auditionné par des agents de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) quelques mois avant le rapt et l'assassinat des journalistes. Le rapport de la DGSE indique qu'une deuxième entrevue aurait été prévue avec lui, laissant supposer qu'il aurait pu être recruté comme informateur pour les services extérieurs français. Il lui demande ce qu'il en est exactement.

2/ Par ailleurs, différentes enquêtes effectuées par des journalistes mettent en avant un possible lien entre cet assassinat et « l'affaire d'Arlit », désignant l'enlèvement de plusieurs employés d'Areva en 2010 au Niger. Selon ces enquêtes, leur libération aurait été négociée par la France en échange d'une rançon qui s'élèverait à trente millions d'euros. L'enlèvement et l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, survenus quelques jours après la libération des otages d'Areva, par des membres d'un bataillon considérant qu'ils avaient été spoliés dans la transaction, pourrait constituer une piste pour expliquer ce drame. Il lui demande, en second lieu, ce qu'il en est à cet égard.

3/ Il apparaît enfin qu'il y a deux versions strictement contradictoires sur un fait essentiel. Les autorités françaises ont formellement assuré que les militaires français étaient arrivés après le drame et n'avaient jamais eu de contact avec les ravisseurs. Or, un rapport des Nations unies expose que « la poursuite – aérienne et terrestre – menée par Serval a pu empêcher une fuite facile des ravisseurs vers la frontière. Cela a pu les conduire à prendre la décision d'éliminer les journalistes car ceux-ci n'étaient plus adaptés en tant qu'otages ». Cette dernière version a, en outre, été confirmée par une enquête de journalistes de RFI dont les différentes sources font état de l'intervention des forces spéciales. Les autorités françaises ne sont jamais revenues sur leur première version et n'ont jamais démenti la version avancée par le rapport des Nations unies et l'enquête de journalistes de RFI. Il lui demande, en conséquence et en troisième lieu, de lui dire très clairement laquelle de ces deux versions correspond à la vérité et laquelle est fausse et de lui indiquer, dans le cas où elle confirmerait l'intervention des forces spéciales, à quel moment celle-ci serait advenue.

4/ Enfin, une récente enquête de RFI montre que les gendarmes chargés du procès-verbal sur place ont indiqué être intervenus sur une « scène de crime largement souillée et modifiée ». Or, le détachement de Serval avait « reçu l'ordre de ne toucher à rien », selon une note déclassifiée de la DGSE. Il lui demande donc, en dernier lieu, de faire toute la transparence sur l'action des forces spéciales avant et après l'assassinat des journalistes Ghislaine Dupont et Claude Verlon. »

Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, lui a apporté la réponse suivante :

« Ces faits d’enlèvement et d’assassinat font l’objet d’une information judiciaire, dans le cadre de laquelle le ministère des Armées a apporté et continue d’apporter son plein concours. […]

C’est avec le concours de l’armée française, dans un contexte sécuritaire tendu, que les gendarmes de la prévôté ont été projetés sur les lieux pour effectuer les premières constatations et fournie à la justice le maximum d’éléments de preuve. Les enquêteurs de la direction centrale du renseignement intérieur de l’époque, et de la sous-direction anti-terroriste ont également pu intervenir très rapidement. Cet appui logistique assuré dès le départ s’est poursuivi à mesure des besoins exprimés par les magistrats.

En effet, le ministère des Armées a été requis à plusieurs reprises, en 2015 et 2016 par les magistrats chargés de l’enquête. Toutes les demandes de déclassification successives formulées par la justice ont donné lieu à la fourniture de documents du ministère des Armées en parfaite conformité avec les avis de la commission du secret de la Défense nationale, autorité administrative indépendante.

Si des documents ou extraits de documents n’ont pas été déclassifiés, c’est uniquement, et comme le prévoit la loi, pour préserver les capacités et méthodes des services mais aussi assurer la continuité des opérations et la protection des personnels. […]

Le ministère des Armées continue à appuyer les investigations judiciaires en cours et répond avec une extrême diligence aux sollicitations des magistrats. Cet appui n’a en revanche pas vocation à être exposé publiquement car il est couvert par le secret de l’enquête et de l’instruction. »

Jean-Pierre Sueur a répliqué en regrettant qu’aucune réponse précise n’ait été apportée à ses quatre questions. S’agissant des faits et des contradictions qui ont été établis par des journalistes de RFI et d’autres rédactions, il considère qu’il est, en l’espèce, contestable que le recours au secret défense et au secret de l’enquête se traduisent, dans les faits, par la négation du droit à l’information. Il continuera de suivre ces questions et espère une conclusion rapide de l’enquête judiciaire. 

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