Depuis la grande loi de 1982, due à François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, cela fait donc quarante ans que nous vivons au sein d’une République qui a choisi de rompre avec des décennies et même des siècles de centralisme excessif.
Ce fut assurément une grande réforme… suivie de bien d’autres puisqu’une bonne dizaine de lois importantes auront jalonné ces quarante années pour, le plus souvent, renforcer, préciser, approfondir ce grand mouvement de décentralisation.
Et pourtant, ayant l’occasion de parler de ces sujets très souvent avec nos concitoyens, je constate que les réalités de la décentralisation sont encore mal connues de beaucoup. Très nombreux sont celles et ceux qui ignorent aujourd’hui quelles sont exactement les compétences des régions, des départements, des intercommunalités et des communes.
Il arrive souvent que des maires soient félicités pour de nouveaux lycées – construits par la Région – ou de nouveaux collèges – construits par le Département… Et les exemples du même type sont foisons.
Or il est essentiel que nos concitoyens s’approprient les instances de la démocratie locale. Le manque d’information ou la complexité, apparente ou réelle, de nos dispositifs peut aussi expliquer l’incompréhension, le désintérêt… ou l’abstention.
C’est pourquoi l’ouvrage que viennent de publier mes amis Vincent Aubelle et Éric Kerrouche à La Documentation française (collection Doc’en poche) sous le titre Parlons décentralisation en 30 questions est très précieux. On y apprend en effet beaucoup en moins de cent pages.
Sait-on par exemple d’où proviennent les recettes des collectivités locales ? On apprend, page 66, qu’elles proviennent de l’État pour 116 milliards d’euros (en 2021) et des recettes fiscales propres des mêmes collectivités locales à hauteur de 97,8 milliards d’euros. Autrement dit, l’État est le premier financeur des collectivités… quarante ans après la première loi de décentralisation ! Et si la Constitution affirme « l’autonomie financière » des collectivités locales, nous sommes loin de l’autonomie fiscale. Ce mouvement s’est accéléré et se poursuit avec la suppression de la taxe d’habitation. Et comme le rappellent nos deux auteurs : « Les collectivités locales ne peuvent pas créer de nouveaux impôts. »
On apprend aussi (page 68) combien la péréquation est nécessaire. En effet, les ressources des communes et de l’ensemble des collectivités locales ne sont pas proportionnelles à leurs charges.
C’est pourquoi les dotations dites de péréquation provenant de l’État sont de huit milliards d’euros (2019). C’est ce qu’on appelle la « péréquation verticale ». Il existe également une « péréquation horizontale » (prélèvement de recettes sur certaines collectivités pour en financer d’autres) qui sont de 3,9 milliards en 2019.
Ces chiffres peuvent paraître « significatifs » (mot qui ne signifie pas grand-chose). En réalité, ils restent limités au regard des besoins qu’appellent les quartiers et secteurs en difficulté. Je suis de ceux qui militent depuis longtemps pour une plus ample péréquation.
Je n’ai donné que ces deux exemples pour monter combien l’ouvrage de Vincent Aubelle et Éric Kerrouche (qui ne coûte que 5,90 €) est précieux à la fois parce qu’il apporte des informations fiables et parce qu’il permet, sur la base de ces informations, de mener des réflexions et des concertations sur les défis auxquels sont aujourd’hui confrontées nos collectivités territoriales.
Jean-Pierre Sueur