Comme chaque soir, les télévisons et les radios égrènent les informations.
L’Ukraine, qui tenait la première place, rétrograde peu à peu dans la hiérarchie des nouvelles. D’autres événements prennent le dessus.
C’est le « quatre-vingt quinzième jour de guerre. » On dénombre, au moins, 4 000 civils ukrainiens tués.
Il y a une guerre des chiffres et des images.
Nous devenons peu à peu les objets – hélas ! – d’une inertie mentale qui annihile les réactions.
On s’habitue. On s’habitue à tout.
Et pourtant, il ne faut pas habituer.
Ne pas s’habituer à la guerre, d’abord. Pourquoi la guerre est-elle une constante multiséculaire ? Pourquoi, après tant d’horreurs, reste-t-elle un invariant des sociétés humaines ?
Qui ne voit cependant combien les rêves expansionnistes, les désirs d’annexer, de dominer, de coloniser, de détruire tout sentiment d’altérité sont, en définitive, dérisoires, qu’ils procèdent d’un orgueil puéril au regard des chairs martyrisées, des souffrances endurées et des milliers, voire des millions d’êtres humains anéantis, assassinés, pleurés de celles et de ceux qui leur sont chers et qu’ils ne pourront plus aimer.
Mais au-delà de ces considérations générales et intemporelles, il y a, s’agissant de l’Ukraine, et alors que des tonnes de feu s’abattent sur le Donbass, la nécessité de continuer, sans faiblesse ni considération contraire, à armer L’Ukraine pour qu’elle puisse encore faire face, comme elle le fait courageusement depuis le début de cette guerre.
Il faut aussi continuer de tenir bon pour les sanctions économiques, ce qui appellera des mesures de solidarité difficiles. Être privé des greniers agricoles d’Ukraine et de Russie n’est pas sans conséquence, loin s’en faut.
Je lis dans Le Monde du 24 mai que le directeur du Programme alimentaire mondial de l’ONU vient de déclarer : « Des millions de personnes dans le monde mourront parce que les ports de l’Ukraine sont bloqués. »
Cela entraîne de la part de Poutine de nouveaux chantages auxquels il serait naïf d’accorder foi.
Non, la réalité est là. Il faudra de nouvelles solidarités, de nouveaux partages pour éviter les catastrophes annoncées.
Il faut aussi éviter et dénoncer les biais lamentables.
Puisque la Russie exige que ses produits énergétiques soient payés en roubles, des sociétés européennes – hélas ! – ont souscrit à un nouveau système qui consiste à ouvrir deux comptes dans les banques russes, l’un en rouble, aussitôt converti en un autre en dollars ou en euros.
L’apparence est sauve !
Mais il s’agit d’un détournement cynique des exigences proclamées : pendant la guerre, les affaires continuent !
Puissions-nous récuser tout cela et faire preuve, comme au premier jour, de lucidité, de courage et de solidarité.
Jean-Pierre Sueur