Les mesures annoncées le 6 janvier par le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, afin d'améliorer le fonctionnement de la Justice dans notre pays appellent de ma part une réaction contrastée. Il y a des projets et des choix assurément positifs. D'autres le sont moins, et des interrogations subsistent.
D'abord, il est incontestablement positif que les moyens budgétaires soient accrus (le budget de la Justice atteindrait onze milliards d'euros en 2027) et que la création de 10 000 emplois soit prévue. J'ai suffisamment eu l'occasion de dire chaque année, et depuis longtemps, que les moyens alloués à la Justice étaient notoirement insuffisants, que le nombre de postes de magistrats, greffiers et autres personnels l'était tout autant, et de rappeler à la tribune du Sénat que nous étions, à cet égard, parmi les derniers de la classe de l'Europe et de l'OCDE, pour ne pas saluer ces annonces.
Il faut, bien sûr, veiller à ce qu'elles entrent dans les faits. Il ne faudrait pas, en particulier, qu'une inflation persistante ait pour conséquence de réduire substantiellement le montant des crédits annoncés.
On nous dit qu'il y aura une loi de programmation – ce ne sera ni la première ni la dernière ! –, mais j'ajoute que cela ne suffit pas à garantir le respect des engagements pris, car nos finances publiques restent régies par le dogme de l'annualité budgétaire –ce que je regrette – qui limite l'effet coercitif de telles lois et invite donc à une constante vigilance.
Positifs également sont l'accent mis sur la justice civile, celle du quotidien, ainsi que la nouvelle rédaction annoncée du code de procédure pénale devenu trop complexe. S'agissant de la justice civile, le fait de recourir au traitement amiable des conflits (ce que font déjà les conciliateurs de Justice) peut aller dans le bon sens, à condition que l'on n'en fasse pas un remède miracle, ce qui serait illusoire : dans nombre de cas, la procédure judiciaire, avec un ou plusieurs juges, des avocats, etc., restera indispensable.
Je suis, en revanche, très réservé sur la généralisation en cours des cours criminelles départementales. Nicole Belloubet avait mis en place une expérimentation à cet égard. Ces nouvelles instances se caractérisent par la suppression du jury populaire, à l'encontre de ce qui existe dans les cours d'assise. Alors qu'avant de prendre ses fonctions, Éric Dupond-Moretti avait déclaré qu'il n'accepterait jamais la suppression du jury populaire, voilà qu'à peine nommé il a généralisé l'expérimentation, et donc la suppression du jury populaire, sans qu'on n'ait jamais disposé du moindre résultat de l'expérimentation. Or, les témoignages (et les tribunes écrites) de nombre de magistrats montrent que cette généralisation en s'est traduite ni par une réduction des délais de jugement, ni par des améliorations dans la procédure, ni par des économies. De surcroît, il y a plus d'appels à la suite des décisions des cours criminelles départementales qu'après les décisions des cours d'assise.
Enfin, les mesures concernant les prisons sont très décevantes. Et elles ne prennent pas en compte les judicieuses propositions du rapport des États généraux de la Justice. On nous annonce une « circulaire sur les Travaux d'Intérêt général » – ce qui ne mange pas de pain ! On nous redit que 15 000 places de prison seront construites d'ici 2027, alors que le rapport des États généraux rappelle que les « nouvelles places » créées depuis trente ans n'ont en rien réduit la surpopulation, qu'il faut prioritairement restaurer les établissements insalubres et surtout cesser de considérer que la seule peine réelle est la détention et donner une large place aux peines alternatives à la détention. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a donné l'exemple de trois pays, l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas qui, en suivant cette méthode, ont abouti à mettre fin à la surpopulation carcérale. Mais non ! Avec ce qui est annoncé, on continuera d'entasser trois détenus dans une cellule de neuf mètres carrés, dont l'un dormira sur un matelas à même le sol, la France continuera d'être condamnée pour indignité des conditions pénitentiaires, et les conditions d'incarcération continueront à être défavorables à la réinsertion des détenus. Bref, c'est le contraire de ce qu'il faudrait faire. Les auteurs du rapport des États généraux de la Justice avaient d'ailleurs demandé, en toutes lettres, « la mise en place d'un mécanisme de régulation de la population carcérale par la définition, pour chaque établissement pénitentiaire, d'un seuil d'alerte et de criticité » – ce à quoi le Garde des Sceaux prend la responsabilité de ne donner aucune suite. 

Jean-Pierre Sueur