Au terme d’un débat approfondi, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), par 166 voix contre 152.
Ce vote est important. En effet, à l’heure où l’on assiste à une remise en cause du droit à l’IVG dans certains pays d’Europe, dans certains états américains, et ailleurs, c’est un signe fort que d’inscrire dans la Constitution un droit, ou une liberté, que la France s’engage ainsi à ne pas voir remis en cause.
À vrai dire, nous étions nombreux à penser que, comme lors d’un vote précédent, il n’y aurait pas de majorité sur ce sujet au Sénat.
Mais le Sénat a la vertu d’être une assemblée où l’on débat vraiment et où, au fil du temps et des initiatives prises, les choses peuvent évoluer et avancer.
C’est ainsi que mon collègue Philippe Bas (LR) a pris l’initiative de proposer une rédaction dont les termes étaient différents du texte initial, rédaction en vertu de laquelle, conformément à une décision du Conseil constitutionnel, la Constitution reconnaîtrait « la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse. »
Cette formulation, qui ne retient pas le terme de « droit » mais celui de « liberté » a recueilli le vote positif des sénatrices et sénateurs de gauche, mais aussi de nombre de sénatrices et sénateurs appartenant à TOUS les groupes politiques qui composent le Sénat.
Le processus n’est cependant toujours pas abouti. En effet, le texte voté par le Sénat va revenir à l’Assemblée nationale. Si celle-ci le votait conforme, cela donnerait au président de la République la possibilité de le soumettre au référendum. Mais il n’est pas sûr que le référendum – qui appelle, on le sait, des réponses des électeurs qui portent trop souvent sur la politique de celui qui pose la question plutôt que sur son objet propre – soit la procédure la plus appropriée.
C’est pourquoi j’appelle de mes vœux, comme nombre de mes collègues sénateurs, le dépôt par le gouvernement d’un projet de loi – ce à quoi n’a pas souscrit, hélas, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, à qui la question a été posée.
C’est une subtilité juridique qui échappe à beaucoup : alors que le vote conforme d’une proposition de loi constitutionnelle ne peut aboutir qu’à une procédure référendaire, le vote conforme d’un projet de loi constitutionnelle peut se traduire par l’adoption de celui-ci par le Congrès (réunissant députés et sénateurs) à la majorité des 3/5e.
Il revient donc au gouvernement de prendre l'initiative qui dépend de lui pour que cette constitutionnalisation, qui serait, donc, un signe fort, et la garantie d’un droit et d’une liberté, puisse être effective.
Jean-Pierre Sueur