Les dernières séances à l'Assemblée nationale, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles furent cahotiques, ont toutefois montré au moins trois failles assez stupéfiantes dans les réponses – ou plutôt les non-réponses –apportées par les membres du gouvernement, suite à des mesures annoncées, à l'évidence, pour gagner les suffrages de quelques députés, mais qui, visiblement, étaient loin d'être au point. Et l'on peut s'étonner qu'Emmanuel Macron qui a surinvesti dans cette réforme des retraites, ait pu accepter, voire cautionner, un tel amateurisme.
Ces trois failles sont les suivantes :
- Les carrières longues : dès lors qu'une mesure était annoncée concernant les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans... il était inévitable que des chiffres soient demandés sur le cas de celles qui ont commencé à travailler un, deux ou trois ans avant ou après... La réponse - ou plutôt la non-réponse - confuse et laborieuse qui a été donnée, qui n'apportait aucun élément compréhensible, témoignait en fait de l'impréparation de la mesure annoncée.
- Le seuil minimum de la retraite à 1 200 €. On a pu croire au fil du temps que cette mesure s'appliquerait très généralement, et puis il a été question d'un "certain nombre" de retraités, et enfin de 40 000 voire de 14 000 chaque année. Là encore, c'est le flou intégral.
- Enfin, la situation des femmes. À leur égard, la méthode Coué ne suffit pas. Il ne suffit pas - comme cela a été fait - d'affirmer que la réforme leur sera bénéfique pour que cela s'avère vrai. Il faudrait beaucoup mieux prendre en compte les carrières interrompues, les maternités, les inégalités structurelles de salaires et de revenus pour que cette affirmation ait un semblant de réalité !
Le texte va maintenant arriver au Sénat.
Je l'ai dit, le débat à l'Assemblée fut cahotique. Comment faire oeuvre législative de façon crédible quand le débat s'enlise dans les invectives, voire les injures, et qu'on peut en arriver à une cinquantaine de "rappels au règlement" en à peine une heure ? Et comment méconnaître l'effet produit sur l'opinion publique, sur les Françaises et les Français, quant à l'idée qu'ils peuvent se faire des politiques, comme Laurent Berger l'a dit crûment ?
C'est une raison supplémentaire pour moi de souhaiter que le débat au Sénat soit un vrai débat législatif, permettant d'aller au fond des choses et d'obtenir des réponses claires du gouvernement.
Avec l'ensemble des organisations syndicales, le groupe socialiste du Sénat, auquel j'appartiens, s'oppose à cette réforme. Les non-réponses que j'ai évoquées confortent cette opposition.
Mais quelle que soit la position des uns et des autres au Sénat, j'ose espérer que la qualité des débats sera à la hauteur de l'enjeu sur ce sujet essentiel.
Jean-Pierre Sueur