Je me réjouis de la décision de la Cour de cassation qui lève enfin le « verrou » de la « double incrimination », ce qui permettra que le juge français puisse enfin poursuivre et juger les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.
Le statut dit de « Rome » donnait dès 2010 aux juges des états signataires, dont la France, le droit de poursuivre et de juger les auteurs de ces crimes.
Mais, dans la législation française, ce droit a été subordonné à plusieurs « verrous » qui lui ôtaient tout effet concret.
Il y avait notamment trois verrous :
  • Le premier sur la « double incrimination » qui impliquait que la France et l’état d’origine de la personne mise en cause aient inscrit la même infraction dans leur code pénal – ce qui supposait donc un alignement de notre droit avec celui de régimes autoritaires et les moins démocratiques de la planète, ce qui était absurde ;
  • Le second verrou était la résidence habituelle en France de la personne mise en cause ;
  • Le troisième était l’exigence que la Cour pénale internationale se désiste explicitement, alors que cela découle naturellement du statut de Rome.
À mon initiative, le Sénat a adopté en 2013 une proposition de loi levant ces trois « verrous » et conférant enfin une « compétence universelle » aux juges français.
Celle-ci n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
J’ai pu cependant obtenir de Nicole Belloubet (alors ministre de la Justice) que le troisième « verrou » – qui n’avait pas de sens – soit supprimé et également la « double incrimination » pour les génocides, mais pas pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, sans que je puisse obtenir de justification de ces deux exclusions, malgré mes interrogations au Sénat.
Or la Cour de cassation vient par sa décision du 12 mai de supprimer dans tous les cas cette exigence de « double incrimination ». Elle ouvre ainsi la voie à une vraie compétence universelle du juge français.
Les ministres de la Justice et des Affaires étrangères ont publié le 9 février 2022 un communiqué déclarant que dès lors que la justice s’exprimerait à ce sujet, ils seraient prêts à traduire la décision dans la loi.
Notons qu’usuellement, c’est plutôt le gouvernement qui est à l’initiative des projets de loi que les juges se doivent d’appliquer quand ils sont votés et promulgués.
Mais l’essentiel est que cette décision entre dans la loi ainsi qu’une autre – le dernier « verrou » – qui mettra fin à l’exigence de la « résidence habituelle en France » qui est évidemment très restrictive. Comme l’a souvent dit Robert Badinter, il est rare que les criminels visés « résident habituellement » dans un pays où ils risquent d’être appréhendés.
Je prendrai à nouveau toute ma part dans ce travail législatif désormais nécessaire.
Jean-Pierre Sueur