souvenirs_et_solitudeJe tiens à saluer la parution en livre de poche (aux éditions Belin) du livre de Jean Zay : Souvenirs et solitude. Ce livre sera ainsi facilement accessible. Je m’en réjouis car il mérite vraiment d’être lu
Ce livre est le journal d’un détenu. Jean Zay fut – on le sait – condamné à la déportation, à Marseille puis à Riom, par les autorités de Vichy, après une parodie de procès, un procès honteux mené par le même tribunal militaire qui avait condamné à mort le général de Gaulle. On sait aussi que Jean Zay ne quitta la prison que pour être assassiné par la milice, bras armé d’un régime qui haïssait tout ce qu’il représentait.
Quand on relit ce livre, on est frappé par le fait que c’est l’œuvre d’un homme qui incarne exactement le contraire de cette haine. Il en est aux antipodes. C’est le livre d’un homme lucide et serein. C’est un journal écrit au fil des journées en prison. Mais comme le montre bien Antoine Prost dans la préface, ce livre est aussi très composé. Il est fait d’alternances entre la description très précise des conditions de détention, une description calme, avec, souvent, des accents verlainiens et des souvenirs de celui qui fut un très grand ministre de l’Education nationale et qui revient sur son action et, plus largement, sur ses positions politiques. On passe ainsi sans cesse de la scène du cachot à celle de la France et du monde, de l’intimité à la chose publique, l’une mettant l’autre en perspective avec, en effet, cette « pudeur », cette retenue qui tranche avec le penchant intrusif pour la transparence qui caractérise notre époque.
Il faudrait tout citer.
Je m’attarderai sur quelques points.
D’abord cette analyse d’une extrême lucidité sur les responsabilités du désastre de 1940 dû à la fois à l’impéritie des responsables militaires et à la « dictature » du ministère des finances et de ses séides.
Ensuite, ces considérations sur la Constitution future qui invitent à doter notre pays d’un exécutif stable par le moyen de ce que Pierre Mendès-France appellera le « contrat de législature ». A lire ces pages, on serait tenté de se dire que Jean Zay fut davantage le précurseur de la Cinquième République que de la Quatrième. Mais il faut rester prudent dans ce genre de projection. Je gage que s’il voyait aujourd’hui combien la Cinquième République s’est traduite par une hypertrophie du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif, il plaiderait pour un retour à un meilleur équilibre…
Enfin, c’est un plaisir sans cesse renouvelé que de lire ces pages si justes, critiques mais sympathiques aussi, que Jean Zay consacre au Sénat de son époque. L’ami Antoine Prost doute que « les choses [aient] vraiment changé ». Pour ma part, je n’en doute pas quand je compare les votes de l’Assemblée Nationale et ceux du Sénat sur les dernières lois sur l’immigration et la bioéthique…
Mais c’est un autre débat.
Et pour revenir au livre, il faudrait vraiment tout citer.
Ce livre de poche, qui offre cinq cents pages de sagesse, ne coûte que 9 euros.
On devrait l’offrir à tous les lycéens d’Orléans.
Jean-Pierre Sueur
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