Publié dans la revue de l'association "Les Amis de Roger Toulouse", décembre 2024, n°28.
Je m’en souviendrai toujours. Un jour, Roger Toulouse m'a invité à découvrir l'une de ses expositions, rue Jeanne d'Arc, à Orléans. Nous regardions les toiles. Il avait l'attitude réservée mais amicale que nous lui connaissons. Il parlait peu. Il réfléchissait devant chacune de ses œuvres. Je me disais qu'il pensait à la genèse de chacune d'entre elles, à ce qu'elle aurait pu être, à ce qu'elle était, à ce qui aurait pu être amélioré : auteur de tant de tableaux remarquables qui, pour moi, sont souvent des chefs-d'œuvre, il n'avait nullement l’attitude repue ou satisfaite que l'on trouve chez des artistes toujours contents d'eux-mêmes, imbus de leur talent. Non, il était toujours en recherche. Je savais qu'il s'était séparé d'œuvres qu'il jugeait inabouties ou qui n'étaient pas en harmonie avec son projet, son désir, son attente. Je savais que son œuvre prolifique ne s'arrêterait jamais, qu'il serait toujours en recherche. Inlassablement.
Je devais parler davantage que lui. Je le sais : souvent les politiques parlent trop ! Nous arrêtant devant un tableau, je lui ai dit : « Il est vraiment bien ce tableau ». Il n'a pas répondu. Nous avons poursuivi sa visite. Jusqu'à la fin, comme toujours, il fut lui-même : un homme attaché dans le silence - comme il le fut si souvent et si longtemps dans son atelier - à la profondeur des êtres et des choses.
Le temps passa. Bien des années après, Roger nous quitta. Je me souviens de ses obsèques dans une église orléanaise. Les amis prirent la parole. Ils célébraient l'être, le créateur exceptionnel. Je me disais qu'il eût peut-être préféré le silence. Mais nous sommes ainsi. C'est la chaîne de la vie qui nous conduit à couvrir de mots et de fleurs ceux qui sont en partance, mais qui restent et resteront en nous. L'art, la littérature, la poésie - que Roger a tant célébrée, combien de livres de poètes a-t-il accompagné de ses œuvres ? - permettent aux vivants de dialoguer avec les morts. La responsabilité de celui qui contemple les œuvres d'art ou lit les livres et les poèmes n'est pas négligeable. Charles Péguy qui naquit dans le faubourg Bourgogne, à proximité de la rue de l'Abreuvoir - où fut la dernière demeure et le dernier atelier de Roger Toulouse - insistait beaucoup sur l'acte de lire si complémentaire - indissociable - de l'acte d'écrire. Il fait dire à Clio dans le livre éponyme : « Il est effrayant, mon ami, de penser que nous avons toute licence, que nous avons ce droit exorbitant, que nous avons le droit de faire une mauvaise lecture d’Homère, de découronner une œuvre du génie, que la plus grande œuvre du plus grand génie est livrée en nos mains, non pas inerte, mais vivante comme un petit lapin de garenne ».
… Quelque temps après les obsèques de Roger Toulouse, son épouse, la chère Marguerite, me demanda de venir la voir rue de l'Abreuvoir. Lire la suite...