Jean-Louis Rizzo, qui fut élu à Amilly, où il habite, professeur d’histoire à Montargis et enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris, nous a déjà offert des livres très solides sur Pierre Mendès-France et une biographie magistrale d’Alexandre Millerand. Il nous propose aujourd’hui (aux éditions Glyphe) un ouvrage pleinement d’actualité consacré aux « élections présidentielles en France depuis 1848. »

Ce livre qui analyse les vingt-huit élections présidentielles qui ont eu lieu dans notre pays à ce jour est une forte leçon d’histoire. L’histoire permet de mieux comprendre l’actualité immédiate, de la « mettre en perspective » et donc de favoriser la réflexion.

La première élection présidentielle au suffrage dit universel (mais, à l’époque, seuls les hommes votaient) fut inscrite dans la Constitution du 4 novembre 1848 – sous l’impulsion, notamment, d’Alexis de Tocqueville qui avait écrit De la démocratie en Amérique. Le premier président fut, on le sait, Louis-Napoléon Bonaparte. Jean-Louis Rizzo explique comment son élection face à Cavaignac et à Lamartine fut une première manifestation du vote de la « France rurale » : « Les paysans, majoritaires dans la France du milieu du XIXe siècle, ont eu peur de la République au mois de juin [1848] et ils gardent un bon souvenir de leur prospérité au temps du Premier Empire » (p. 25). Mais – on le sait également – ce premier président élu fut aussi l’auteur du coup d’État du 2 décembre 1851 et de la proclamation de l’Empire un peu plus tard – ce qui devait conduire Victor Hugo à s’exiler.

Jean-Louis Rizzo explique justement que « ces événements sont lourds de conséquences pour l’histoire de l’élection présidentielle en France. Les républicains vont considérer pendant plus d’un siècle qu’élire le chef de l’État au suffrage universel direct constitue un danger parce qu’un ambitieux ou un aventurier pourra toujours se faire élire et se targuer de la légitimité populaire pour gouverner à sa guise et même violer les règles de droit. Le référendum gaulliste de 1962 mettra douloureusement fin à cette conception républicaine » (p. 28).

Jean-Louis Rizzo conte ensuite l’histoire des élections des présidents de la troisième et de la quatrième République, qui étaient élus par le Congrès composé de l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs. Il note que ce mode d’élection favorise les présidents de l’une ou l’autre des deux chambres. Il note aussi que ces élections traduisent une« crainte du pouvoir personnel. » Ainsi, « les dirigeants politiques de premier plan ont du mal à se faire élire parce que les parlementaires préfèrent avoir à l’Élysée un arbitre plutôt qu’une forte personnalité. C’est ainsi que Jules Ferry échoue en 1887, que Clémenceau doit se retirer en janvier 1920 et qu’Aristide Briand mord la poussière en 1931 » (p. 33).

Chemin faisant, nous arrivons à la dernière élection de ce type, celle de René Coty, en 1953, à la suite de pas moins de treize tours de scrutin (mais René Coty ne fut candidat qu’au douzième…).

Jean-Louis Rizzo analyse précisément la réforme de 1962 avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct, suite à un référendum organisé par le Général de Gaulle sur la base de l’article 11 de la Constitution, ce que Gaston Monnerville, président du Sénat, a considéré comme une « forfaiture » au motif qu’une telle révision aurait dû être faite sur la base de l’article 89 de la Constitution – mais alors il aurait fallu obtenir l’accord préalable des deux assemblées, accord qui n’aurait pas été obtenu, toujours par crainte du « pouvoir personnel », crainte qui resta celle de Pierre Mendès-France alors que François Mitterrand, prenant acte de la réforme, savait qu’il faudrait désormais en passer par cette élection au suffrage universel direct pour qu’il y ait une alternance.

Jean-Louis Rizzo raconte en détail toutes les élections présidentielles de la Cinquième République et donne aussi nombre d’informations et d’analyses précieuses sur les lois et les règles en la matière, les débats, le rôle des médias, l’irruption des primaires. Il évoque aussi la réforme de 2000 due à Lionel Jospin. La substitution du quinquennat au septennat aura changé les rythmes politiques, le temps réel du mandat étant désormais de quatre ans, voire moins, puisque, très vite, le pays se retrouve en campagne électorale, et encore davantage avec l’instauration des primaires. Cette réforme accroît, en fait, le poids politique du président de la République qui plonge encore davantage dans la gestion de l’actualité. Et quant à l’inversion du calendrier qui a conduit, jusqu’à maintenant, à ce que les législatives suivent immédiatement les présidentielles, elle a aussi accru – du moins jusqu’ici : on ne sait pas ce que nous réservent les prochains mois – le rôle du président, les Français dotant toujours le président – du moins en principe ! – d’une majorité censée le soutenir.

En conclusion, Jean-Louis Rizzo note que cette élection est désormais « incontournable » - au regard des 99 gouvernements que la France a connus en soixante-cinq ans sous la Troisième République et des 22 en onze ans sous la quatrième (p. 231).

Il observe d’ailleurs que « la responsabilité gouvernementale ne joue plus, le dernier gouvernement remercié par le Parlement l’ayant été le 5 octobre 1962, voilà plus d’un demi-siècle » (p. 232).

Il considère toutefois que le pouvoir est « outrageusement concentré » (p. 234) autour du président de la République.

Il ne plaide pas pour autant pour un « régime présidentiel » qui, pour lui, renforcerait encore les pouvoirs du chef de l’État sans augmenter ceux du Parlement.

Il ne plaide pas non plus pour le retour à un « régime parlementaire classique » (p. 234).

Pour lui, il faut plutôt à en revenir à l’inspiration originelle de la Constitution de 1958 qui avait mis en place un régime « avant tout parlementaire » au sein duquel « les pouvoirs du président de la République ne concernaient que des décisions exceptionnelles. » Il constate  et déplore en effet que « la pratique gaullienne des institutions ainsi que la réforme de 1962 ont totalement déséquilibré le système » (p. 235).

Il y a matière à débattre de toutes ces questions –, le grand intérêt du livre de Jean-Louis Rizzo étant de décrire l’histoire d’une institution et d’apporter nombre d’informations et d’analyses utiles pour mener, avec tout l’éclairage requis, les débats sur ces sujets essentiels.

Jean-Pierre Sueur