Lors de l'émission "C Politique", sur France 5, ce dimanche 16 avril, Brice Teinturier a fait, s'agissant des sondages, deux affirmations auxquelles je tiens à répondre.

Marges d'erreur

Sur les "marges d'erreur", d'abord, Brice Teinturier a dit que ce n'était plus un problème puisque les Instituts de sondage fournissent cette marge d'erreur à leur clients – c'est à dire, en l'espèce, aux médias. Cela est sans doute vrai. Mais le problème reste entier car chacun peut observer chaque jour qu'à de rares et notables exceptions près...les télés, radios et journaux ne mentionnent pas ces marges d'erreur en annonçant les résultats des sondages, si bien que les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs peuvent penser de bonne foi que les chiffres annoncés ont un caractère absolu. Or, il n'en est rien. Ne prenons qu'un seul exemple : il y a peu, un candidat est, paraît-il, "passé devant un autre" en obtenant un demi-point de plus (18, 5 % contre 18 %). Ce demi-point a donné lieu à un certain nombre de commentaires et éditoriaux. Mais chacun peut mesurer l'inanité de ceux-ci quand on apprend que la marge d'erreur dudit sondage est de + ou - 2, 7 %... Autrement dit, tout ce qu'on peut dire, c'est que le score du premier candidat est situé dans une fourchette allant de 15,8 à 21,2 % et celui du second dans une fourchette allant de 15,3 à 20,7 %. Le résultat annoncé ne permet donc pas de d'affirmer que l'un est devant l'autre où l'autre devant l'un. C'est exactement ce qui s'est passé lors de l'élection présidentielle de 2002, dont, quinze ans après, on ne semble pas avoir tiré toutes les conséquences. Je réponds donc à Brice Teinturier que le problème restera entier tant que tous les médias ne mentionneront pas la marge d'erreur – ce qui, je le rappelle, est depuis 2016 une obligation légale.

Redressements

Brice Teinturier a également minimisé la question des "redressements", indiquant qu'avec le grand développement des sondages en ligne elle était devenue marginale. Là encore, soyons clairs. Les Instituts de sondage affirment que leur démarche est "scientifique". Il est bien qu'ils l'affirment, car si elle ne l'était pas, il serait vain de publier ces collections de chiffres ! Mais si la démarche est "scientifique", il faut alors une totale transparence. Les sondeurs disent souvent qu'il faut respecter leurs "secrets de fabrication" et qu'on ne demande pas aux chefs dans les restaurants de dévoiler leurs recettes. Mais les chefs font de la cuisine ou de la gastronomie. Ils ne prétendent pas, comme les sondeurs, faire de la "science". Si on fait de la science, on doit être transparent. Et si les Instituts récusent le fait qu'on puisse avancer que certains redressements sont faits au "doigt mouillé", il leur est loisible de publier les calculs qui les justifient. Rappelons qu'un redressement est la différence qui existe entre le résultat brut d'un sondage et le résultat publié. Ce redressement peut être légitime lorsque l'Institut a des raisons de penser, en se fondant notamment sur des résultats antérieurs, que des partisans de tel ou tel candidat ou parti font des "sous déclarations". Mais alors, il faut l'expliquer et le justifier. C'est pourquoi – en vertu, depuis 2016, de la loi –, les Instituts doivent fournir à la Commission des sondages avant la publication de chaque sondage les critères précis des redressements effectués. La commission des sondages doit publier sur son site Internet ces données – et d'autres. Chacun peut consulter ce site. Or chacun peut constater que la notice concernant ces données n'est pas toujours mise en ligne avant la publication du sondage et que, le plus souvent, les critères de redressement sont mentionnés de manière tellement floue, vague et générale que cela n'apporte aucun éclairage concret et précis sur les corrections effectuées. En ce domaine aussi, il revient à la Commission des sondages – faut-il le rappeler ? – de veiller à la bonne application de la loi, et de l'esprit de la loi.

Michel Rocard craignait que la vie politique ne se transforme en une course de chevaux. C'est peut-être, en partie, inévitable...Au moins peut-on veiller et tenir à ce que les lois soient appliquées.

Jean-Pierre Sueur