À quelques jours du premier tour des élections législatives, permettez-moi de revenir sur cette question, après tout fondamentale : à quoi sert le Parlement ? Puisqu’il s’agit d’élire des députés, il n’est pas inutile de revenir sur leur rôle et de préciser ce que l’on attend d’eux.

Je suis, en effet, frappé par la multiplication des déclarations selon lesquelles l’élection législative ne devrait être que la pure et simple conséquence de l’élection présidentielle – comme si l’Assemblée nationale n’était vouée qu’à être une sorte de complément ou d’accompagnement du pouvoir exécutif.

Pour bien connaître – je crois – les deux assemblées qui composent le Parlement, je dirai tout net que telle n’est pas ma conception.

Je suis un disciple de Montesquieu qui a théorisé la séparation des pouvoirs entre un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire.

Ce qui suppose que le pouvoir législatif – et donc les parlementaires – disposent d’une liberté d’appréciation, d’une capacité de jugement propre, en un mot d’une indépendance d’esprit par rapport au pouvoir exécutif, quel qu’il soit.

Il revient en effet au Parlement de voter les lois. Et par rapport à tout projet gouvernemental ou à toute proposition émanant d’un ou de plusieurs parlementaires, tout député ou tout sénateur a un droit d’amendement imprescriptible. Il lui revient d’adopter, de modifier ou de récuser tout article de loi en raison des convictions qui sont les siennes.

De même, la Constitution confère aux parlementaires un pouvoir de contrôle sur le gouvernement. Comment « contrôler » un pouvoir exécutif si l’on ne dispose pas à son égard de l’indépendance nécessaire ?

Qu’on m’entende bien. Je ne plaide pas pour une « cohabitation » permanente – encore que nos institutions rendent celle-ci possible. Je pense qu’il est bénéfique qu’il puisse y avoir une cohérence entre le pouvoir exécutif et une majorité parlementaire. C’est d’ailleurs ce que nous avons connu le plus souvent au cours de la Cinquième République.

C’est pourquoi, puisqu’Emmanuel Macron a dit vouloir mener une action « progressiste », il me paraît souhaitable qu’il dispose d’une majorité « progressiste ».

Mais je n’envisage pas cette majorité comme une collection de « godillots » – même si Jean-Pierre Chevènement, qui s’y connaissait pour ce qui est de l’indépendance d’esprit, a dit un jour que c’étaient de « bonnes chaussures. »

Je plaide pour une majorité progressiste dont chacune et chacun des membres apportera sa pierre à l’écriture de la loi, au contrôle de l’exécutif et à la représentation de la Nation.

Pour qu’il en soit ainsi, la meilleure solution me paraît être que cette majorité soit plurielle et intègre les socialistes qui se reconnaissent dans la gauche de gouvernement – auxquels j’apporte tout mon soutien – aux côtés des représentants de « La République en marche », des radicaux et écologistes, des centristes ayant rompu avec la droite conservatrice et des gaullistes sociaux effectivement attachés à l’esprit de la Résistance.

Cette majorité de progrès sera composée de femmes et d’hommes qui apporteront leurs analyses, leurs idées, leurs projets, leurs convictions – en un mot, de vrais parlementaires.

Jean-Pierre Sueur