Éditorial du numéro 30 de septembre 2018 de La Lettre de Jean-Pierre Sueur.

La cinquième République donne une telle place au pouvoir exécutif que nos concitoyens méconnaissent trop souvent le rôle du pouvoir législatif, pourtant essentiel, sans lequel il n’y aurait ni équilibre, ni séparation des pouvoirs – et sans lequel nous ne serions plus fidèles à Montesquieu, qui en fut le chantre.

C’est pourquoi, pour moi, servir le Parlement, c’est servir la République.

J’en prendrai trois exemples.

D’abord les commissions d’enquête parlementaire.J’ai participé à plusieurs d’entre-elles, mais celle qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Benalla », au sein de laquelle j’exerce les fonctions de co-rapporteur, a particulièrement marqué les esprits, parce que nous avons décidé d’être transparents, en rendant toutes les auditions publiques.

Par opposition à ce que s’est passé à l’Assemblée Nationale, nous avons décidé de ne pas faire de la commission d’enquête un enjeu politique interne. Nous nous concentrons exclusivement sur trois tâches : 1) établir la vérité sur ce qui s’est passé – ce qui n’est pas simple tant les premières auditions que nous avons effectuées ont montré qu’il y avait nombre de « non-dits » et de contradictions ; 2) mettre en lumière tous les dysfonctionnements que cette affaire révèle jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État ; 3) faire des propositions concrètes pour mettre fin à ces dysfonctionnements. Nous continuerons à œuvrer afin de poursuivre ces objectifs avec calme, ténacité et détermination.

Ensuite, il y a toute une série de « missions d’information » parlementaires. Je participe à celle qui a été mise en place récemment sur les « fiches S ». Chaque fois qu’un individu est interpellé pour des faits de terrorisme ou liés au terrorisme, il est fréquemment écrit et dit aussitôt dans les médias que cette personne est « fichée S ». Beaucoup de nos concitoyens pensent donc qu’il faut, ou qu’il aurait fallu, mettre « hors d’état de nuire » les personnes « fichées S ». Or c’est impossible puisque la plupart des personnes ainsi fichées n’ont pas commis d’actes délictuels ou criminels. Et seul le juge peut décider de mesures privatives de liberté. Le fichier « S » est donc un fichier de police, très précieux pour le travail du renseignement qui est essentiel dans la lutte contre le terrorisme. On voit bien qu’il faut revoir cela, réviser les nomenclatures, préciser les choses, éviter les contresens de l’opinion publique. Et il faut continuer à lutter pied à pied contre le terrorisme et, pour cela, se doter des moyens et des procédures les plus efficaces possibles. C’est l’un des enjeux de notre mission d’information.

Enfin, il y a tout le travail parlementaire, dans l’hémicycle et en commission, au cours duquel nous nous devons d’étudier les projets et propositions de loi et de les amender en fonction de nos convictions propres. Ce travail est indispensable. Il m’a amené, pour ne prendre qu’un seul exemple, à m’opposer vigoureusement à plusieurs aspects de la loi « ELAN ». Et notamment la suppression, dans des circonstances plus larges que cela a été dit, de l’avis conforme des Architectes des Bâtiments de France (ABF). Même s’il faut développer un nécessaire dialogue entre les maires et les ABF, une telle mesure peut porter préjudice à la préservation de notre patrimoine. De même, il m’est apparu néfaste et inacceptable de réduire autant que le projet de loi le permet l’intervention des architectes, en particulier dans la construction de logements sociaux.

Qu’il s’agisse donc des commissions d’enquête, des missions d’information ou de l’examen de textes législatifs, notre mission est toujours la même : il s’agit, au sein du Parlement, d’exercer l’ensemble des prérogatives que la Constitution nous attribue afin de servir la République le mieux possible.

Jean-Pierre Sueur

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