Il faut remercier les éditions de l’Écluse, installées dans le Gâtinais, à Châtillon-Coligny, qui nous proposent de nombreux ouvrages de qualité et viennent de publier un très beau livre reprenant les « lieux-dits » de Patrice de La Tour du Pin, magnifiquement illustrés par Jacques Ferrand.

Bien qu’il ait vécu dans le Loiret, au Bignon-Mirabeau, j’ai souvent regretté que Patrice de La Tour du Pin et son œuvre poétique ne fussent pas plus connus dans notre département.

Comme l’écrit le groupe d’amis lecteurs qui est à l’initiative de cette nouvelle édition, « à l’origine, il y eut Patrice de La Tour du Pin et sa propriété du Bignon, où son univers intérieur se nourrissait de la nature du Gâtinais. » Les lieux-dits existent vraiment, à l’exception des derniers qui sont des lieux symboliques. Les poèmes qu’ils inspirent sont singulièrement musicaux. Ils restituent une musique intérieure. Ce sont des poèmes « à la forme légère mais au contenu dense, parfois à la limite de l’obscur. » Il faut se laisser envahir par la musique, les rythmes, les mots, leur enchaînement, les images qui se suivent, les impressions qu’elles suscitent pour, peu à peu, goûter cette écriture profonde, qui ne se donne pas immédiatement au lecteur, mais suppose un temps de recherche, de rapprochement – une rencontre au sens plein du terme.

Qu’on en juge.

Je citerai le « lieu-dit le poirier voleur » :
« Au fin fond des mers de chaume,
Le poirier qu’on dit voleur :
Deux pies gardent le royaume
Tourmenté du vieux fantôme
Au fin fond des mers du cœur. »
 
Je citerai le « lieu-dit Les Morailles » :
« Nuit tombale au fond de moi-même :
Il est vrai qu’on porte un caveau…
S’est-il ouvert que se promène
Au revers de ma vie humaine
Déjà l’enfant d’un ciel nouveau ? »
 
Je citerai le « lieu-dit Blancheforêt » :
« Fallait-il franchir ces guérets,
Ces lieux non dits, non labourés,
Pour rejoindre à jour expiré
La forêt blanche,
Puis attendre qu’elle blanchît
A travers de vieux jours moisis,
Et que le grand hiver la prît
A pleines branches ? »
 
Je citerai enfin le « lieu-dit l’Homme » :
« Lieu-dit l’Homme, qui me demandes
Comment je peux encor danser
Puisque le ciel n’est que légende
Et la vie coule au passé,
Ce n’est pas moi vraiment qui danse,
Mais le fil qu’un pêcheur me lance
Sans bouchon, sur ton cours glacé. »

Laissons la conclusion à nos « amis lecteurs » : « Paradisier, chanteur, sauvage : trois traits qui soulignent la personnalité complexe de Patrice de La Tour du Pin. Trois aspects qui s’entrelacent, et parfois se combattent en lui. »

Ou encore : « L’effroi, la nostalgie d’un monde mort, "la nuit tombale au fond de moi-même" sont des thèmes qui ne cessent de le hanter. Mais dans la nuit s’ouvre l’attente. »

Jean-Pierre Sueur