Il est bon qu’il y ait en France un large débat public sur le projet de Constitution européenne. Il ne faut pas le regretter. Cette constitution concerne tous les Français. Il est très positif qu’ils en débattent largement.
Ma contribution de cette semaine portera sur un seul des articles du texte, l’article 209 de la troisième partie, qui porte sur la « politique sociale » prévue par le traité.
Certains opposants au traité ont, en effet, lors d’une des réunions publiques que j’ai tenues, invoqué cet article, considérant qu’il allait dans le sens d’une « Europe libérale » qui serait contradictoire avec toute « politique sociale » digne de ce nom.
Je tiens à répondre, comme je l’ai fait lors de cette réunion publique, qu’on ne peut absolument pas conclure cela lorsqu’on lit le texte même de l’article.
Chacun peut le constater. Dans sa première partie, l’article expose que « l’Union et les Etats membres (…) ont pour objectif la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions ».
On ne voit vraiment pas ce que tous ceux qui sont attachés à une politique sociale européenne forte peuvent trouver à redire à cette définition qui – notons-le – inclut la perspective d’une « égalisation dans le progrès » dans ces domaines sociaux, c’est à dire l’exact contraire d’un nivellement par le bas.
Mais, nous dit-on, lisez la suite ! On y lit « qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux… ».
Et là, nos détracteurs commentent que ce membre de phrase montre bien que la politique sociale est, en quelque sorte, dans ce texte, asservie au « fonctionnement du marché intérieur ».
Mais ce n’est pas le cas ! Ce texte dit simplement que la croissance économique n’est pas neutre en terme de développement des politiques sociales et des politiques d’emploi. C’est, pour partie, ce que nous disons à l’égard du gouvernement Raffarin : refuser de relancer la croissance et de prendre les dispositions nécessaires pour le faire, cela se traduit par de lourdes difficultés en matière d’emploi et de politique sociale, comme on le voit aujourd’hui..
Mais surtout, la phrase du traité ne s’arrête pas là… Si elle s’arrêtait là, on pourrait en effet critiquer une vision par trop « économiste » de la politique sociale.
Mais la phrase continue. Elle expose que l’évolution en question résultera « tant » (je souligne) de ce qui a été rappelé ci-dessus « que » (je re-souligne) « des procédures prévues par la Constitution et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres ».
Cette seconde partie de la phrase est très claire. Elle fait explicitement appel aux politiques publiques. Il est vraiment difficile de voir de « l’ultralibéralisme » dans ce recours aux dispositions « législatives, réglementaires et administratives ».
Autrement dit, s’il est préférable de pouvoir compter sur une croissance forte pour développer l’emploi et promouvoir la solidarité, il faut aussi compter sur des politiques publiques appropriées.
Conclusion : on peut tout démontrer, et même le contraire de ce que dit le texte, en isolant un membre de la phrase du contexte.
Lorsqu’on lit tout le texte, on constate qu’il propose d’aller, dans le cadre d’un économie ouverte (mais personne ne propose de revenir à une économie fermée !) vers une Europe plus solidaire.
Jean-Pierre Sueur