Contribution au débat sur les contributions pour le congrès du Mans du PS, parue dans Action socialiste (journal des socialistes du Loiret) de septembre 2005 Au moment où nous entrons dans la phase de préparation active de notre congrès, je forme un vœu, et un seul : que ce congrès serve à quelque chose ! Autrement dit, qu’il permette de définir une ligne, une orientation claire, qui sera celle du parti dans les années à venir.

Rien ne serait pire que de sortir de ce congrès – comme se fut parfois le cas dans le passé – avec une synthèse artificielle, un compromis de dernière heure, une addition d’ambiguïté et de faux semblant, se traduisant ensuite par des expressions publiques divergentes ou contradictoires sur des sujets essentiels.

Je pense qu’il n’est ni opportun ni justifié de parler de « scission ». Nous sommes et resterons dans le parti – sauf à faire à la droite un cadeau inespéré ! -, mais il est, à mon sens, de loin préférable qu’il y ait au sein du parti une majorité claire et une ou plusieurs minorités également claires plutôt qu’un rassemblement factice et fragile.

Ce n’est pas le débat qui fait tort au parti socialiste. Sinon, nous n’aurions pas gagné en 1981 au lendemain d’un débat mémorable au sein du parti ! Ce qui fait tort c’est l’absence de débat de fond, ou la réduction de ce débat à des luttes entre les personnes. Je n’ai certes pas la naïveté de méconnaître le poids des ambitions personnelles et de ce que j’appellerai les concurrences légitimes dans une organisation comme la nôtre. Mais nos règles sont simples et saines : ce sont les adhérents du parti qui auront à choisir, le moment venu, notre candidat ou notre candidate aux élections présidentielles. En attendant, les attaques personnelles ne devraient pas exister entre nous. Nous devons, collectivement, les refuser. Et nous ne devons jamais oublier ni le sens de la camaraderie, ni celui de l’amitié. Nous ne devons pas non plus perdre de vue l’attachement qui est celui des républicains et socialistes que nous sommes au principe d’égalité. Il ne devrait pas y avoir de place pour nous, à aucun niveau, pour les excès du « vedettariat ». Et puisque nous avons critiqué, à juste titre, la métaphore du précédent premier ministre disons avec force que nous récusons tout ce qui aboutirait à opposer « socialiste du haut » et « socialistes du bas ».

L’enjeu de ce congrès doit être de dire clairement ce que nous entendons par « socialisme ». Quel est notre projet ? Quel est notre socialisme ?

L’histoire de notre parti – cent ans ! – est lourde de leçons. Les socialistes ont été forts, la gauche a été forte, lorsqu’elle a proposé, puis mise en œuvre, des réformes conséquentes qui ont changé la vie des Français. Ce sont ces réformes que l’histoire retient du Front Populaire, de la Libération, des années Mitterrand et du gouvernement Jospin.

L’histoire du XXsiècle est aussi celle de l’échec de systèmes qu’on a baptisés « socialistes », et qui n’ont rien à voir avec ce que nous proposons. Nous savons aujourd’hui que le projet d’une société et d’une économie totalement gérées par une organisation administrative conduit à des impasses ou à des tragédies. Nous pensons que le marché a un rôle à jouer. Nous croyons qu’un jeu économique est nécessaire comme nous pensons que, dans un certain nombre de domaines, la concurrence est bénéfique.

Mais nous pensons aussi – car l’histoire du XXème siècle nous l’a également enseigné – que le marché est myope, et que ces concurrences peuvent produire des effets dévastateurs. Il faut donc une puissance publique, des puissances publiques, au niveau du monde, de l’Europe, du pays, des collectivités locales.

La question, qui est celle de toutes les sociales démocraties, est celle de l’articulation entre ces nécessaires puissances publiques et ce qui relève du marché et de la concurrence.

Il est des cas où la puissance publique doit veiller à ce qu’il y ait, dans certains domaines, vrai concurrence. Je pense aux hypermarchés qui, dans la France d’aujourd’hui, sont devenus un quasi monopole qui a peu d’équivalents dans le monde, monopole préjudiciable aux producteurs comme aux consommateurs, malgré les apparences.

Il est des cas où la puissance publique doit faire prévaloir des lois, des droits, des règles dans l’intérêt commun : éducation, santé, logement, environnement, culture, etc.

Prenons l’exemple du logement. On voit aujourd’hui que ni le jeu du marché ni d’ailleurs l’addition des stratégies propres des différentes communes ne produit spontanément ni le droit pour chacun à un logement, ni la si nécessaire mixité de l’habitat dans notre pays. L’intervention de l’Etat est donc une absolue nécessité – ce que la droite méconnaît chaque jour davantage !

Autre exemple : celui de la presse. Je ne me résigne pas à vivre dans un pays où un nombre non négligeable de médias appartiennent aux entrepreneurs de travaux publics ou aux fabricants d’armes. Qui peut méconnaître combien une telle situation porte en germe d’atteintes à l’indépendance de la presse ? Et comment réformer cela, sinon par la loi ?

Notre identité socialiste est, pour moi, profondément liée à l’Europe. Notre projet doit être clair sur ce point.

Cette question nous a divisés.

Parce que nous sommes des démocrates, nous devons tirer toutes les conséquences du vote des Français. Si ce vote a incontestablement marqué un rejet du pouvoir en place, on ne peut, à mon sens, le réduire à ce rejet. Il a aussi témoigné du refus d’une Europe jugée trop « libérale ».

C’est pourquoi, il nous faut proposer une Europe qui soit toujours davantage une « puissance publique ». Pour tous ceux, dont j’étais, qui ont soutenu le « oui », le traité européen était un premier pas en ce sens.

Aujourd’hui, ce traité n’existe plus. Mais l’exigence d’une Europe, terre de liberté, d’ouverture mais aussi « puissance publique » au service des valeurs de solidarité, de justice, et de l’objectif du plein emploi, - cette exigence reste devant nous.

Et nous ne l’atteindrons pas seuls. D’où l’urgence et l’importance d’un travail de fond avec le PSE et l’ensemble des partis socialistes et socio démocrates européens. Ce travail doit être mené par nous dans un esprit constructif. Nous n’avons pas plus de titre que d’autres à nous ériger en « donneurs de leçons » et nous ne pourrons avancer que les uns avec les autres.

Ce ne sont là que quelques réflexions pour définir ce que devrait être, selon moi, aujourd’hui « notre socialisme » - et pour contribuer à l’orientation que je souhaite majoritaire lors de notre prochain congrès. Je ne doute pas qu’il y ait d’autres visions des choses. Mais je demande la clarté. Car sans clarté, je ne vois pas comment nous pourrons construire un projet cohérent et mobilisateur et rendre possible en 2007 l’alternance et l’alternative qui sont tellement nécessaires !