Nous connaissons à Orléans l’importance des dates et des célébrations historiques. Depuis 571 ans, en effet, nous commémorons, chaque année, un moment particulier de l’histoire de notre ville et de notre pays : la libération d’Orléans, le 7 mai 1429, par Jeanne d’Arc. Lorsque Jeanne d’Arc se présente, à la fin du mois d’avril 1429, devant les murailles de la ville, la France est divisée en deux. Au nord, les anglais et leurs alliés, les bourguignons, prétendent détenir la couronne de France. Au sud de la Loire, se sont réfugiées les troupes et la cour du Dauphin Charles qui, après la mort de son père, n’a pas pu être sacré roi de France, à Reims, comme la tradition l’exigeait. Entre les deux, la Loire dessine la limite des deux zones d’influence. La victoire d’Orléans va représenter le premier pas vers la réunification du royaume de France.
A cette occasion, nous invitons les représentants de l’ensemble de nos villes jumelles. Nous voulons, en effet, partager avec eux le sens et l’importance historique des faits qui se sont déroulés dans notre ville. Nous sommes donc particulièrement bien placés pour comprendre l’importance que peut revêtir, pour vous, certaines dates, à commencer par celle de la réunification de l’Allemagne. Mais au contraire de la libération d’Orléans, encore récente, les conséquences de la réunification sont toujours présentes.
Nous connaissons tous le mot de François MAURIAC : « J’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux ». Cette phrase manifestait la méfiance traditionnelle entre les Français et les Allemands, méfiance quasi atavique, qui fut celles des hommes et des femmes nés à la fin du siècle dernier. Toutefois, lors de la réunification, cette méfiance ou plutôt une certaine crainte réapparut chez certains. Entre la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la réunification, nombreuses furent les interrogations, chez les Français, sur le devenir de l’Allemagne, sur son engagement européen, sur ce qu’on appelait le « couple » franco-allemand, sur la nouvelle organisation d’un pays dont on craignait les visées hégémoniques en Europe. Première puissance économique et démographique de l’Europe, cette nouvelle Allemagne, cette « République de Berlin » allait-elle continuer à agir selon les mêmes principes qu’auparavant ? N’allait-elle pas sacrifier la construction d’une Europe plus forte pour lui préférer la construction d’une unité nationale ?
Dix ans plus tard, on peut dire que ces craintes étaient injustifiées. Je pense même que l’unité de l’Allemagne a été, est et sera une chance pour l’Europe.
L’unification a représenté et représente encore un effort de reconstruction très important pour toute l’Allemagne. L’objectif prioritaire de votre gouvernement était, dès 1990, l’harmonisation des conditions de vie entre l’est et l’ouest de l’Allemagne. Cette harmonisation n’a été possible que grâce à l’octroi d’une aide financière importante. Un impôt de solidarité a été créé qui a représenté 7,5% du montant de l’impôt sur le revenu et sur les sociétés entre 1995 et 1997, et 5,5% depuis 1998. En 1999, les Länder de l’est ont bénéficié, dans le cadre d’un Pacte de Solidarité de 25 milliards de marks. Mais ces efforts ont permis la reconstruction d’une économie plus performante, la création de 500 000 entreprises employant 3,2 millions de personnes, ou la quasi harmonisation des salaires et des retraites. Des efforts restent à faire. Il reste des insatisfactions. Le chômage demeure important même si les créations d’emplois sont toujours plus nombreuses, mais je ne doute pas que la croissance qui devrait atteindre 3% du P.I.B. en 2000, ne permette de rendre cet effort financier plus supportable pour les allemands qui résident dans l’ouest du pays.
Cette reconstruction de l’est de votre pays s’est aussi faite avec le soutien de l’Europe, dans le cadre du FEDER, le Fonds Européen de Développement Régional. Cette contribution est légitime et normale. La solidarité des européens doit s’exercer en direction de toutes les régions qui souffrent d’un retard économique. Mais cette contribution démontre également que l’unité allemande ne s’est pas faite contre l’Europe.
Plus même, cette expérience allemande devrait nous montrer l’exemple pour définir un cadre de collaboration avec les pays de l’Europe centrale et orientale. Le processus qui a permis l’unification des deux Allemagnes a conduit également à la chute des régimes en place pendant 40 ans dans cette partie de l’Europe. Elle a posé la question des alliances militaires et celle des coopérations économiques entre cette partie de l’Europe et l’Union européenne. Pendant 20 ans, la République Fédérale d’Allemagne, dans les années 1970 et 1980, a mené une politique étrangère originale à l’égard de ces pays. C’était ce qu’on a appelé l’Ostpolitik. Jusqu’en 1990, cette politique cherchait à normaliser les relations avec ses voisins orientaux, afin d’éviter que l’Allemagne ne devienne le possible champ de bataille d’une guerre continentale entre deux blocs. Aujourd’hui, cette crainte n’est plus de mise, mais l’Allemagne, à cette occasion, a acquis une connaissance des pays de l’Europe orientale et centrale qui lui permet de jouer un rôle d’intermédiaire entre l’Union européenne et le reste de l’Europe.
Ce rôle correspond à une exigence économique : l’Allemagne est aujourd’hui le principal partenaire commercial des pays d’Europe centrale et orientale. Mais c’est aussi une nécessité politique. Il est indispensable de prévenir, d’endiguer et de résoudre les conflits potentiels. L’Allemagne n’a toutefois pas choisi de privilégier une diplomatie autonome et hégémonique, car elle a toujours inscrit ses initiatives diplomatiques dans le cadre des institutions et des organisations internationales. Le chancelier Gerhard Schöder, ne disait pas autre chose, le 30 novembre 1999, devant l’Assemblée Nationale, à Paris : « Les paramètres de la politique étrangères allemande n’ont pas changé à Berlin et ne changeront pas non plus à l’avenir. La politique étrangère a été et est, de même que la politique de nos partenaires, une politique intégrée dans l’Union européenne et l’Alliance nord-atlantique ».
Elle est ainsi devenue l’avocat de l’intégration des pays de l’Europe orientale et occidentale au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN. Mais l’Allemagne n’a jamais oublié les relations privilégiées qu’elle entretenait avec la France. La continuité qui existe entre l’action de la présidence allemande de l’Union européenne, lors du premier semestre 1999, et l’action de la présidence française, actuellement en cours, n’est pas un hasard. C’est, en effet, lors de la présidence française que les résolutions prises au début de l’année 1999 devraient trouver leur concrétisation. Le cadre financier, fixé jusqu’en 2006, qui rendra possible l’adhésion des premiers pays candidats à l’Union européenne, a ainsi été adopté sous présidence allemande à Berlin. Lors du sommet de Cologne, le Conseil européen a fixé un calendrier de la réforme des institutions de l’Union européenne, et ce calendrier a prévu d’achever cette réforme sous présidence française, au cours des prochains mois, et ceci afin que l’Union européenne puisse, conformément à la proposition franco-allemande discutée en octobre 1999 à Tampere, accueillir de nouveaux membres à partir de 2003.
Les circonstances et la réussite de l’unification allemande devraient également nous servir à définir un cadre politique fort pour l’Union européenne, en vue de l’intégration de nouveaux membres. L’Allemagne a su faire de l’unification un processus d’intégration économique et politique. Pour cela, la constitution fédérale de la République Fédérale d’Allemagne a offert un cadre à la fois assez souple pour permettre des évolutions, mais suffisamment solide pour permettre que des solidarités économiques se tissent entre Länder. Or, pour l’Europe la question est du même ordre. Certains préconisent aujourd’hui l’élargissement de l’Union européenne, sans vouloir poser la question des institutions. Or, chacun sait que si cette voie est choisie, elle aboutira à l’ingouvernabilité de l’Union européenne. Au contraire, il faut tout d’abord réformer certaines institutions et règles de fonctionnement de la Commission européenne et du Conseil des Ministres de l’Union. Sur ce point, l’Allemagne et le France se retrouvent. Il faut redéfinir la taille de la commission européenne, étendre le champs du vote à la majorité qualifiée et revoir la pondération des voix dans les décisions du Conseil des Ministres de l’Union. Sans ces préalables, aucun élargissement ne pourra réussir, et pour les nouveaux membres et pour les anciens.
Il reste qu’au quotidien, pour nos deux villes, l’Union européenne offre et offrira un cadre pour enrichir nos relations. Il faut donc savoir s’appuyer sur les programmes qu’elle met en place. Je pense notamment aux nouvelles technologies. Au début de l’année, des experts, venus de nos villes jumelles, et notamment de Münster, se sont réunis à Orléans, afin de participer à la création de STUDIONET Orléans. Ce projet qui visait à utiliser le réseau internet pour permettre la mise en place de projets transdisciplinaires. Cette expérience a été menée avec le soutien de la Commission européenne, et devrait se développer, dans la mesure où les nouvelles technologies constitueront certainement une des orientations importantes de l’action de l’Union européenne. Dans le domaine de l’éducation et des échanges scolaires et universitaires également, nous pourrions envisager un approfondissement de nos relations puisque l’objectif de la présidence française de l’Union est d’améliorer la mobilité des étudiants, apprentis, enseignants et chercheurs et de faciliter également l’installation des diplômés dans d’autres pays européens.
La construction européenne sera donc non seulement une chance pour nos deux pays, mais également pour nos deux villes. Je souhaite donc que nous sachions profiter de ces opportunités afin que chacun de nous puisse participer à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel
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