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Une analyse de Jean-Pierre Sueur
La première lecture, au Sénat puis à l’Assemblée nationale, du projet de loi sur les responsabilités locales avait suscité de vives inquiétudes, dont de nombreuses associations d’élus s’étaient fait l’écho.
Je suis, pour ma part, partisan d’une nouvelle étape de la décentralisation. Mais à condition que ce soit sur des bases financières claires. Il serait en effet incompréhensible qu’au moment où l’on met en avant la diminution de certains impôts nationaux, les élus des communes, départements et régions soient inéluctablement contraints d’augmenter la pression fiscale locale.
Pour répondre aux inquiétudes qui s’étaient exprimées, M. Jean-Pierre RAFFARIN, Premier ministre, avait pris l’engagement de présenter le projet de loi organique sur l’autonomie financière des collectivités territoriales devant le Parlement préalablement aux secondes lectures du texte sur les responsabilités locales.
Le Sénat a donc débattu récemment de ce texte financier.
A l’issue de ce débat, force est de constater que nous ne disposons, malheureusement, d’aucune assurance précise quant aux moyens financiers dont disposeront les collectivités territoriales.
Le débat a d’abord porté sur la notion d’ « autonomie financière ».
C’est une question importante car l’Etat a pris, depuis une vingtaine d’années, de nombreuses décisions qui ont eu pour effet de réduire le montant des impôts locaux.
A chaque fois, l’engagement a été pris de compenser le « manque à gagner » pour les communes, départements et régions par des « dotations de l’Etat ». Le volume de ces dotations s’est toujours accru au point de constituer l’un des premiers budgets de l’Etat. Et nos concitoyens ignorent qu’ils financent autant, voire d’avantage, leurs collectivités locales en payant leurs impôts nationaux qu’en acquittant leurs impôts locaux …
Il y a là une évolution qui présente de réels inconvénients.
D’abord, parce que les compensations de l’Etat ne compensent pas toujours les « manque à gagner » pour les collectivités territoriales, loin s’en faut, et parce qu’elles deviennent souvent, comme on le dit pudiquement, des « variables d’ajustement ».
Mais aussi parce que ce dispositif réduit les marges d’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, d’où l’idée d’inscrire cette autonomie d’abord dans la Constitution (sous la forme d’une définition floue à laquelle je m’étais, pour ma part, opposé puisqu’il y est fait mention d’une part « déterminante »), puis dans la loi organique.
Le débat sur cette loi organique, au Sénat, a d’abord porté sur la définition des ressources propres des collectivités.
J’ai soutenu l’amendement de M. Daniel HOEFFEL, reprenant la position du Bureau de l’Association des Maires de France, en vertu duquel les ressources propres des collectivités étaient exclusivement constituées des « produits des imposition de toutes natures dont la loi les autorises à fixer l’assiette, le taux ou le tarif ».
Cette formulation avait l’avantage d’être très claire.
Le gouvernement et une partie non négligeable de la majorité du Sénat s’étant opposés à l’amendement de M. HOEFFEL, cette formulation a été revue et la rédaction finalement retenue (contre laquelle j’ai voté) ajoute aux ressources propres précédemment définies « les ressources dont la loi détermine par collectivité la localisation de l’assiette et du taux », c’est à dire des ressources sur lesquelles les collectivités locales n’ont aucune prise. Cette rédaction confuse, d’une certaine façon contradictoire dans ses termes, vide assez largement de son sens la notion d « autonomie fiscale ».
De surcroît, alors qu’aujourd’hui la part d’autonomie fiscale effective des différentes collectivités est de 35 % pour les régions, 51 % pour les départements et de 54 % pour les communes, le texte adopté par le Sénat a pour effet de maintenir le statu quo. Aucun objectif de progression n’a, en effet, été retenu. Cela contribue aussi a vider de son sens ce projet de loi.
Mais, il y a plus grave.
En effet, l’autonomie fiscale n’est pas une fin en soi. Je ne suis pas adepte de l’autonomie pour l’autonomie.
Lorsqu’on est pauvre, il bien d’être « autonome », mais cela ne réduit pas pour autant la pauvreté. Or, il y a des communes, urbaines comme rurales, dont les moyens ne sont pas en proportion de leurs charges. Cela vaut aussi pour les départements et les régions.
C’est pourquoi, la mise en œuvre de l’autonomie perd, en réalité, beaucoup de sa signification, si on n’accroît pas parallèlement la péréquation.
Nous vivons à cet égard dans une situation paradoxale. Alors que les dotations de l’Etat aux collectivités locales sont très élevées, je l’ai dit, et alors que l’une des justifications de ce montant très élevé serait de permettre la péréquation, la part de l’ensemble de ces dotations qui est effectivement consacrée à la péréquation est très limitée.
On ne peut pas raisonnablement aller vers une nouvelle étape de la décentralisation, et donc de nouveaux transferts de compétences, sans changer cela.
Or, les nombreuses demandes qui ont été faites pour traiter de la péréquation, en même temps que de l’autonomie, se sont heurtées à une fin de non recevoir de la part du gouvernement et de la majorité du Sénat.
En définitive, on a le sentiment que depuis deux ans, les questions financières concrètes sont toujours reportées à plus tard. Lors du débat sur la loi constitutionnelle, on nous a dit qu’on en parlerait en examinant la loi sur les responsabilités locales. Quand nous avons examiné ce dernier projet de loi, on nous a renvoyé aux lois de finances puis à la loi organique. Aujourd’hui, c’est encore plus tard, toujours plus tard. Alors quand ?
Il faut constater que rien n’a été concrètement décidé, à ce jour, en matière de péréquation, même si la dernière loi de finances a modifié l’architecture de la Dotation Globale de Fonctionnement … mais en réduisant parallèlement les financements de l’Etat destinés, pour l’année 2004, à la péréquation.
J’ajoute, pour finir, que nous sommes toujours dans le flou le plus total quant aux financements des transferts de compétences envisagés. Je vous rappelle que la Constitution prévoit désormais que : « Tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient attribuées à leur exercice ». Mais cela n’est pas de nature à nous rassurer. Nous savons que dès qu’une compétence est transférée à une collectivité, la pression est forte auprès des élus locaux pour demander de faire davantage que l’Etat dans le domaine considéré. Nous ne pouvons donc nous satisfaire du mutisme des membres du gouvernement sur cette question essentielle.
Jean-Pierre SUEUR
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