Charles Péguy

  • Robert Chapuis vient de consacrer au livre de Jean-Pierre Sueur, Charles Péguy ou les vertiges de l’écriture, un article publié dans le numéro de décembre 2021 de la revue de l’Office universitaire de recherches socialistes (L’ours).
     

    Tout – ou presque – sur Péguy !

    L’hebdomadaire La Tribune Hebdo a également consacré un article à ce livre, dans son édition du 16 décembre.
  • Je signale tout particulièrement le colloque qui aura lieu le 7 janvier 2023 pourl’anniversaire des 150 ans de la naissance de Charles Péguy sur le thème :« Péguy et la défense des peuples opprimés » au lycée Lakanal de Sceaux (que Péguy a fréquenté).
    JPS
     
     
  • La République du Centre, 2 août 2021

     
  • Unidivers, 15 février 2022

     
  • Le Monde, 9 juillet 2021

     
  • La République du Centre, 24 septembre 2021

     
  • La République du Centre, 16 septembre 2021

  • Mag'Centre, 17 janvier 2023

     
  • La Croix, 6 janvier 2023

     
  • Spécialiste de Charles Péguy et fondatrice de Centre Jeanne-d’Arc – Charles-Péguy de l’Université de Saint-Pétersbourg, en Russie, Tatiana Taïmanova nous a quittés il y a quelques semaines.

    Je publie très volontiers le courrier que je viens de recevoir de Nikolaï Mikhaïlovitch Kropatchev, recteur de cette université, en réponse à la lettre que je lui avais adressée, par laquelle celui-ci me fait part des hommages si justifiés que l’Université de Saint-Pétersbourg a rendus et rendra à notre amie Tatiana, si attachée à la France et à sa culture, et à la ville d’Orléans.

    JPS

    >> Lire la lettre

  • La lettre politique de L'Expansion, 25 mai 2021

     
  • Mag'Centre, 5 juin 2021

     
  • Jean-Pierre Sueur vient de publier aux éditions « La guêpine » un texte méconnu, et pourtant « fabuleux », de Charles Péguy sur la Loire. Ce texte est précédé, dans cette édition, d’un avant-propos de Jean-Pierre Sueur, qui en souligne toute l’importance.
    Cette description de la Loire et de sa vallée qui s’étend à ses châteaux et aux poètes qui l’ont chantée est l’épilogue d’un long article publié en 1907 dans Les Cahiers de la quinzaine sous le titre – « peu porteur »,écrit Jean-Pierre Sueur, « De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle » – et repris entre les deux guerres avec d’autres textes sous le titre « Situations » dans une édition aujourd’hui introuvable.
    Jean-Pierre Sueur écrit que Charles Péguy y décrit la Loire « en une écriture emphatique qui transporte et emporte ceux qui acceptent de se laisser emporter et de partager avec lui, au-delà des convenances de la rhétorique, les labeurs, les souffles, les grandeurs et les fulgurances de l’écriture. »
  • Je signale tout particulièrement ce texte de Katia Beaupetit paru dans La République du Centredu 19 octobre, sur le texte méconnu de Charles Péguy sur la Loire que j’ai récemment réédité aux éditions La guêpine.
  • La République du Centre a publié ce dimanche une page sur le centenaire de la naissance de Charles Péguy qui a été célébré à Orléans le 7 janvier 1973.
    Ce samedi 7 janvier 2023, j'ai participé à la manifestation organisée, au jour près, pour le 150e anniversaire de la naissance de Charles Péguy qui est né le 7 janvier 1873.
    Cette manifestation, organisée par l'Amitié Charles Péguy et les villes de Sceaux et Bourg-la-Reine, eut lieu au lycée Lakanal de Sceaux, situé au coeur d'un grand parc, où Charles Péguy fit une année de classe préparatoire en internat... au terme de laquelle il échoua pour l'entrée à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm. Il s'en fallut d'un demi-point. Ses notes s'élevèrent à 62,5 points – cependant que le dernier admis en obtint 63. Dure loi des concours. À quoi cela tient-il ? Péguy revint à Orléans pour faire son service militaire au 131e Régiment d'Infanterie, puis fit une nouvelle année de « prépa" avant d'entrer enfin  à l'École Normale Supérieure !
    Rassemblant un grand nombre d'auditeurs (et participants !), la rencontre était consacrée à « Péguy et les peuples opprimés ». Furent ainsi évoqués les nombreux articles publiés dans la revue de Péguy, Les Cahiers de la Quinzaine, au cours des premières années du XXesiècle, qui étaient consacrés aux peuples opprimés, niés dans leur dientité et victimes de violence.
    Des écrits qui - hélas ! – résonnent encore dans notre actualité. Je pense en particulier au massacre de 30 000 Arméniens contre lequel Péguy s'éleva, dans la relative indifférence des gouvernants et des élites européennes. À cette occasion, un article de notre ami Géraldi Leroy fut cité à maintes reprises...
    Ce fut une journée forte, qui illustre pleinement l'objectif que se fixait Péguy lorsqu'il créa, en 1900, Les Cahiers de la Quinzaine : « Dire la vérité...»
     
    Jean-Pierre Sueur
    « Pierre  »
    Je signale la prochaine exposition sur les manuscrits de « Pierre », oeuvre de jeunesse de Charles Péguy, qui aura lieu au Centre Péguy d'Orléans, rue du Tabour, ce vendredi 13 janvier à 17 h.
    Je signale également qu'une nouvelle édition de ce texte, difficile à trouver, paraîtra prochainement aux éditions Corsaire avec une préface d'Éric Thiers. J'y reviendrai.

     

  • Le Journal des Départements, juin 2022

     
  • Michael Lonsdale fut un immense acteur. Son interprétation de frère Luc dans le film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, fut bouleversante. Impossible de l'oublier. On sait qu'il aimait Péguy à qui il a consacré un livre intitulé Entre ciel et terre, Péguy (éditions du Cerf, 2014). Dans ce livre, il fait deux parallèles, a priori tout à fait inattendus, entre Péguy et deux auteurs qu'il a connus et dont il a interprété des œuvres : Samuel Beckett et Marguerite Duras.

    Au moment où Michael Lonsdale vient de nous quitter, on me permettra de lui rendre hommage en citant quelques extraits de ce livre consacré à ces destins qui, pour lui, se rencontrent, ou au moins se croisent.

    « Samuel Beckett est un écrivain dramaturge et poète irlandais avec qui j'ai eu le bonheur de travailler.

    Péguy et Beckett ont en commun leur commisération pour le genre humain. Ils ont une bienveillance pour l'humanité. À la différence de Péguy, les héros des pièces de Beckett sont des marginaux, des pauvres, des clochards ou des fous. Beckett aimait mettre en scène des personnes rejetées.

    Beckett pouvait avoir comme Péguy un certain pessimisme face à la condition humaine. Si Péguy avait choisi la poésie pour combattre cette amertume, Samuel Beckett, lui, utilisait l'humour.

    Ce qui me touche chez ces deux grands écrivains, c'est qu'ils mettent en action leur charité pour les plus pauvres. Péguy se rendait régulièrement à l'association caritative « La mie de pain » dans le XIIIe arrondissement, pour aider les plus défavorisés. Beckett, lorsqu'il reçut son prix Nobel de littérature en 1969, partagea son argent autour de lui, faisant preuve d'une immense générosité envers ses amis dans le besoin. Il pouvait même faire le ménage ou les courses pour une amie malade. L'amitié pour lui était sacrée […] » (pages 55-56).

    J'en viens maintenant à des extraits de ce que Michael Lonsdale écrit sur Marguerite Duras.

    « La coïncidence des dates me touche. Marguerite est née à Saigon le 4 avril 1914, année de la mort de Péguy.

    J'ai rencontré Marguerite Duras grâce à Claude Régy qui a proposé mon nom lors de la création de L’amante anglaise par les Barrault. Ils avaient été chassés de l’Odéon et avaient trouvé refuge dans un petit théâtre à Paris, impasse Récamier. J'ai joué cette pièce pendant trente-cinq ans, jusqu’à la mort de Madeleine Renaud.

    Comme Péguy, elle n'avait pas un caractère facile, mais elle fut une amie importante pour moi, une complice des mots.

    À l'image de Péguy, l'écriture de Marguerite porte une marque de grande liberté. De nouveauté aussi. Son style est limpide et d'une grande pureté. Comme Péguy, elle écrivait continuellement. Je me souviens d'ailleurs qu'elle modifiait le texte en permanence, ce qui n'était pas sans poser de problème. Pour L’amante anglaise, je lui ai demandé d’arrêter ces changements, car toute l'équipe était perdue […].

    Ce que j'aime chez Duras comme chez Péguy, c'est la création d'un style littéraire qui n'a jamais été entrepris auparavant.

    Je suis dans la même recherche d'innovation artistique lorsque j'aborde un rôle, une création théâtrale ou picturale. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu entrer à la Comédie-Française. Je ne voulais pas reprendre des rôles déjà magnifiquement joués avant moi […].

    Il ne faut jamais jouer les mots au théâtre, mais jouer chaque soir ce qu'il y a derrière les mots. C'est mon professeur de théâtre, Tania Balachova, qui me le disait. C'est ainsi que notre art devient vivant. »

    JPS

  • La République du Centre, 25 mars 2022

  • Article paru dans le numéro de décembre 2022 de la revue La renaissance de Fleury
     
    Péguy est-il illisible ? À ceux qui poseraient cette question singulière, je répondrais immédiatement que le fait même qu’ils la posent… démontre qu’ils ne l’ont pas lu ! Car est-il, justement, un écrivain plus lisible que Charles Péguy ?
    Ouvrons pour commencer Les Mystères publiés à la fin de sa trop courte vie, entre les années 1910 et 1913 – et dont le premier reprend en partie la première Jeanne d’Arc parue en 1897.
    Lisons – c’est un exemple entre cent ou mille autres – la description de la Nuit à laquelle s’adresse son Créateur dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu :
     
    « Nuit, tu es la seule qui panses les blessures
    Les cœurs endoloris. Tout démanchés.
    Tout démembrés.
    Ô ma fille aux yeux noirs […]
    Ô ma nuit étoilée, je t’ai créée la première
    Toi qui endors, qui ensevelis déjà
    Dans une Ombre éternelle
    Toutes mes créatures.
    Les plus inquiètes, le cheval fougueux,
    La fourmi laborieuse
    Et l’homme, ce monstre d’inquiétude. »[1]
     
    Dans ce texte, et tant d’autres, nulle obscurité – si ce n’est celle de la Nuit, dotée cependant de belles clartés. Est-il une littérature moins limpide, moins fluide que celle-là ?
    Ce qui caractérise cette écriture c’est sa transparence. Nul apprêt. Le sentiment que les mots coulent de source. Nulle figure qui viendrait orner pesamment le cours du texte, comme d’inutiles et de surabondantes fioritures. Une rhétorique de la simplicité, qui semble l’inverse de la rhétorique. Nombre de figures de style, de comparaisons et de métaphores cependant, mais apparaissant de manière très naturelle.
    Qu’on ne s’y trompe pourtant pas. Cela a demandé à l’écrivain beaucoup de temps, de marches inspirées dans Paris ou la campagne, de réflexions – en un mot de travail !
    Pour certains, cette écriture aurait finalement le tort d’être trop transparente, et de souffrir de mièvrerie, comme d’anciens catéchismes.
    Mais, là encore, quelle erreur !
    C’est le contraire d’une littérature infantilisante.
    Les rapports de Péguy à la foi furent – on le sait – complexes. Ce serait une erreur, trop souvent faite, hélas, que de voir en lui, y compris quand il revient à une foi qu’il a délaissée, un simple fidéiste.
    Non, il y a dans l’Église des choses qui le révulsent. Et il y a dans la religion de sublimes raisons de croire, auxquelles il adhère. Il y a aussi des réalités qu’il ne comprend pas et qui le révoltent. Ainsi le Mal. La petite Jeanne d’Arc ne peut accepter qu’il y ait des damnés. Elle considère que c’est un scandale. Cette question travaillera, torturera Peguy.
    Jeanne se propose de se donner tout entière pour « sauver les damnés ». Et Madame Gervaise lui répond avec une totale brutalité :
     
    « Taisez-vous ma sœur : vous avez blasphémé.
    Car si le fils de l’homme, à son heure suprême
    Clama plus qu’un damné l’épouvantable angoisse
    Clameur qui sonna faux comme un divin blasphème
     
    C’est que le Fils de Dieu savait que la souffrance
    Du fils de l’homme est vaine à sauver les damnés.
    Et s’affolant plus qu’eux de la désespérance,
    Jésus mourant pleura sur les abandonnés. »[2]
     
    On le voit : nulle mièvrerie – pas plus que dans le récit de la Passion que Péguy décrit avec un total, un absolu, réalisme :
     
    « Sa gorge lui faisait mal.
    Qui lui cuisait.
    Qui lui brûlait.
    Qui lui déchirait.
    Sa gorge sèche et qui avait soif.
    Son gosier sec.
    Son gosier qui avait soif.
    Sa main gauche qui brûlait.
    Et sa main droite.
    Son pied gauche qui lui brûlait.
    Et son pied droit.
    Parce que sa main gauche était percée.
    Et sa main droite.
    Et son pied gauche était percé.
    Et son pied droit.
    Tous ses quatre membres.
    Et son flanc qui lui brûlait.
    Son flanc percé.
    Son cœur percé.
    Et son cœur qui lui brûlait.
    Et son cœur consumé d’amour.
    Son cœur dévoré d’amour. […]
     
    Et c’est alors qu’il sut la souffrance infinie
    C’est alors qu’il connut, c’est alors qu’il apprit
    C’est alors qu’il sentit l’infinie agonie
    Et cria comme un fou l’épouvantable angoisse. 
    Clameur dont chancela Marie encor debout »[3]
     
    Mais, nous dira-t-on, tous les textes de Péguy ne procèdent pas du même réalisme, de la même transparence que Les Mystères. Et il est vrai que l’écriture de Péguy relève de plusieurs registres, même si, on le verra, tout s’enchaîne et si les uns préparent les autres.
    Ainsi, dans les multiples textes en prose qu’il a publiés dans Les Cahiers de la Quinzaine créés par Péguy en 1900 pour « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste »4, qui relèvent à la fois du journalisme et de la réflexion philosophique, politique, religieuse, de l’étude de mœurs, de la description, de la dénonciation, de la diatribe, de l’admonestation, de l’invocation, Péguy se met constamment en scène. Il ne triche pas. Il est lui-même.
    Et ce qui frappe, au-delà de la très grande diversité des écrits et des sujets traités, c’est une tendance qui culminera, avec le temps, dans ses dernières œuvres en prose et œuvres posthumes, en vertu de laquelle le mouvement de la pensée et le mouvement de l’écriture font un, sont un. Il théorise cela dans l’un de ses ouvrages intitulé Clio : « Un texte devient illisible aussitôt que nous avons l’impression que la main attend après la tête, que la plume attend la pensée »5. Et quand il est emporté, entraîné dans le mouvement de l’écriture, il ne s’arrête pas, il continue, il va jusqu’au bout « comme un cheval qu’on crève. »6
    Cela a une conséquence. C’est que Péguy nous offre, nous restitue l’écriture s’écrivant7. Il n’y a pas de brouillon, pas de premier état du texte avant le deuxième ou le troisième (même si l’étude des manuscrits montre qu’il peut aussi peaufiner ses œuvres).
    C’est une conception, à certains égards, moderne de l’écriture. La conséquence, c’est qu’il faut se laisser entraîner, se laisser emporter par une prose qui est premier jet, quitte à revenir ensuite sur elle-même, à s’écarter du premier mouvement, à y revenir, pour aller plus loin, et ainsi de suite. Alors, si l’on accepte ce postulat, oui, Péguy est lisible, encore et toujours plus lisible.
    Prenons, presque au hasard, son livre sur Victor Hugo – Victor-Marie, comte Hugo8 – dans lequel Péguy parle de Victor Hugo, mais surtout de lui-même – sans le dire. On y lit, s’agissant de l’une des strophes de Booz endormi9 que nous sommes« dans ce sédiment, dans ce grand limon, et Ruth se demandait, en fin de strophe, annonçant la strophe décisive, la strophe coronale, l’isolant, la coupant aussi, la laissant suspendue, en suspens, suspendue sur notre tête comme une montagne carrée… »10 Il faudrait tout citer, mais on ne le peut pas. Car tout s’enchaîne. Péguy écrit que la même strophe est « lançante ». Et qu’elle nous mène à ces vers sublimes :
    « Quel dieu, quel moissonneur d’un éternel été
    Avait en s’en allant négligemment jeté
    Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. »11
     
    Péguy explique magnifiquement combien, de vers en vers, avec même des vers « de remplissage »
    - mais du remplissage « de lui » dit-il12 –, le mouvement se cristallise en des formules lapidaires.
    … Mais Péguy parle de lui ! Il suffit de le lire, de se laisser entraîner par le flux de son écriture pour trouver, par exemple dans Notre Jeunesse, cette phrase qui restera dans les mémoires : « Tout commence en mystique et finit en politique. » Et on lit un peu plus loin : « L’essentiel est que dans chaque ordre, dans chaque système, la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance. »13
    Et il faut pareillement se plonger dans les œuvres en vers dont on peut penser qu’elles ont été préparées par les œuvres en prose qui les ont précédées (ou ont été publiées concomitamment).
    Le principe est le même. Le mouvement de la pensée et celui de l’écriture sont indissociables.
    Certes, il y a les règles de la versification. Mais à ceux qui y verraient des contraintes, je répondrai plutôt que ces mêmes règles (auxquelles s’apparentait celle des trois unités) n’ont pas empêché Corneille ni Racine d’écrire leurs chefs-d’œuvre. J’ajouterai même : au contraire. Ainsi, s’agissant de poèmes célèbres comme la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Paris :
    « Étoile de la mer, voici la lourde nappe
    Et la profonde houle et l’océan des blés
    Et la mouvante écume et nos greniers comblés […]
     
    Étoile du matin, inaccessible reine
    Voici que nous marchons vers notre votre illustre cour
    Et voici le plateau de notre pauvre amour.
    Et voici l’océan de notre immense peine. »14
     
    ou s’agissant de cette immense épopée intituléeÈve, chef-d’œuvre méconnu :
    « Ô mère ensevelie lors du premier jardin
    Vous n’avez plus connu ce climat de la grâce
    Et la vasque et la source et la haute terrasse
    Et le premier soleil sur le premier matin.
     
    Et les bondissements de la biche et du daim
    Nouant et dénouant leur course fraternelle
    Et courant et sautant et s’arrêtant soudain
    Pour mieux commémorer leur vigueur éternelle. »15
     
    Le cadre rythmique, mais aussi syntaxique, est pleinement magnifié par Péguy qui nous explique, s’agissant d’Ève, dans un commentaire lumineux16, que ce poème procède de l’art de la tapisserie. Il est à l’entrecroisement d’une lecture horizontale, linéaire, et d’une lecture verticale où les mots changeants situés aux mêmes places, de vers en vers, composent une autre syntaxe et, partant, d’autres significations. C’est aussi, si l’on veut, une symphonie.17
     Et là encore s’agissant toujours d’Ève, œuvre - indissociablement- lyrique, épique et satirique, œuvre circulaire, dont l’objet est l’histoire de l’humanité et du Salut, défiant la chronologie, comme les idées toutes faites, il faut se laisser entraîner, envahir, faire corps avec la force de la création littéraire. Mais qui dira, dès lors qu’on laisse le mouvement, la respiration, les rythmes, les scansions propres du poème nous guider et nous emporter, que ce n’est pas lisible ?
    Restent les quatrains :
    « Cœur qui a tant battu
    D’amour et de haine
    Cœur qui ne battra plus
    De tant de peine. »18
     
    poèmes lyriques, poèmes d’amour et de doute que Péguy nous a laissés, chaque strophe sur une page différente, si bien qu’on n’est pas sûr de l’ordre dans lequel il faudrait les lire19, qui, une fois encore, défient le commentaire. Il suffit, à nouveau, de se laisser entraîner : ce sont les poèmes d’un cœur qui a tant battu.
    Au total, victime de récupérations successives, de malentendus, d’idées toutes faites (Péguy écrivait : « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée, c’est d’avoir une pensée toute faite »20), la rumeur selon laquelle  Péguy serait illisible a pu prospérer. Mais comme toutes les rumeurs, celle-là n’est pas la vérité, elle est même le contraire de la vérité ! J’espère vous en avoir persuadé. Et si vous ne l’étiez pas encore, je me permets un conseil : lisez-le !
    Jean-Pierre Sueur
     

    [1] Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques (désormais OPD), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p. 764.
    [2] OPD, p. 117 et 464
    [3] OPD, p. 472, 473 et 523
    4  Charles Péguy, Œuvres en Prose Complètes (désormais OPC), Bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard ; p. 291-292
    5  OPC III, p.  1102
    6  OPC III, p. 1103
    7  Voir à ce sujet le dialogue entre Jean-Pierre Sueur et Éric Thiers, Amitié Charles Péguy, n° 175, juillet-septembre 2021, p. 235 à 248
    8  OPC III, p. 161 à 345
    9 Victor Hugo, La légende des siècles, D’Ève à Jésus, VI
    10  OPC III, p. 261-262
    11 Victor Hugo, ibid.
    12  OPC III, p. 261
    13 OPC III, p. 20
    14  OPD, p. 1139-1140
    15  OPD, p. 1177
    16  OPD, p. 1518 à 1537
    17  Sur Ève, tapisserie et symphonie, voir Jean-Pierre Sueur : Charles Péguy ou les vertiges de l’écriture, éd. du Cerf, 2021, p. 102 à 201
    18  OPD, p. 955
    19Voir Julie Sabiani : La Ballade du cœur, poème inédit de Charles Péguy, éd. Klincksiek, 1973
    20Note conjointe sur M. Descartes, OCP III, p. 1278 à 1477

     

  • La revue Renaissance de Fleury publie, dans son numéro de décembre 2022, un article de Jean-Pierre Sueur sous ce titre : « Péguy est-il illisible ? » C’est un titre un peu provocateur, auquel Jean-Pierre Sueur répond en toute clarté – « Oui, contrairement aux légendes, Péguy est lisible, plus que lisible ! » – exemple à l’appui.
    Nous publions ci-dessous trois extraits de cet article.
    Cette livraison de Renaissance de Fleury contient un autre article de Jean-Pierre Sueur intitulé « La Loire de Péguy »ainsi que des textes d’Yves Avril, de Jacqueline Cuche et de Pierre Fesquet.
     
    Les extraits
    Péguy est-il illisible ? À ceux qui poseraient cette question singulière, je répondrais immédiatement que le fait même qu’ils la posent… démontre qu’ils ne l’ont pas lu ! Car est-il, justement, un écrivain plus lisible que Charles Péguy ?
    Ouvrons pour commencer Les Mystères publiés à la fin de sa trop courte vie, entre les années 1910 et 1913 – et dont le premier reprend en partie la première Jeanne d’Arc parue en 1897.
    Lisons – c’est un exemple entre cent ou mille autres – la description de la Nuit à laquelle s’adresse son Créateur dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu :
     
    « Nuit, tu es la seule qui panses les blessures
    Les cœurs endoloris. Tout démanchés.
    Tout démembrés.
    Ô ma fille aux yeux noirs […]
    Ô ma nuit étoilée, je t’ai créée la première
    Toi qui endors, qui ensevelis déjà
    Dans une Ombre éternelle
    Toutes mes créatures.
    Les plus inquiètes, le cheval fougueux,
    La fourmi laborieuse
    Et l’homme, ce monstre d’inquiétude. »
     
    Dans ce texte, et tant d’autres, nulle obscurité – si ce n’est celle de la Nuit, dotée cependant de belles clartés. Est-il une littérature moins limpide, moins fluide que celle-là ?
    Ce qui caractérise cette écriture c’est sa transparence. Nul apprêt. Le sentiment que les mots coulent de source. Nulle figure qui viendrait orner pesamment le cours du texte, comme d’inutiles et de surabondantes fioritures. Une rhétorique de la simplicité, qui semble l’inverse de la rhétorique. Nombre de figures de style, de comparaisons et de métaphores cependant, mais apparaissant de manière très naturelle.
    (…)
    Mais, nous dira-t-on, tous les textes de Péguy ne procèdent pas du même réalisme, de la même transparence que Les Mystères. Et il est vrai que l’écriture de Péguy relève de plusieurs registres, même si, on le verra, tout s’enchaîne et si les uns préparent les autres.
    Ainsi, dans les multiples textes en prose qu’il a publiés dans Les Cahiers de la Quinzaine créés par Péguy en 1900 pour « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste », qui relèvent à la fois du journalisme et de la réflexion philosophique, politique, religieuse, de l’étude de mœurs, de la description, de la dénonciation, de la diatribe, de l’admonestation, de l’invocation, Péguy se met constamment en scène. Il ne triche pas. Il est lui-même.
    Et ce qui frappe, au-delà de la très grande diversité des écrits et des sujets traités, c’est une tendance qui culminera, avec le temps, dans ses dernières œuvres en prose et œuvres posthumes, en vertu de laquelle le mouvement de la pensée et le mouvement de l’écriture font un, sont un. Il théorise cela dans l’un de ses ouvrages intitulé Clio : « Un texte devient illisible aussitôt que nous avons l’impression que la main attend après la tête, que la plume attend la pensée ». Et quand il est emporté, entraîné dans le mouvement de l’écriture, il ne s’arrête pas, il continue, il va jusqu’au bout « comme un cheval qu’on crève. »
    Cela a une conséquence. C’est que Péguy nous offre, nous restitue l’écriture s’écrivant. Il n’y a pas de brouillon, pas de premier état du texte avant le deuxième ou le troisième (même si l’étude des manuscrits montre qu’il peut aussi peaufiner ses œuvres).
    C’est une conception, à certains égards, moderne de l’écriture. La conséquence, c’est qu’il faut se laisser entraîner, se laisser emporter par une prose qui est premier jet, quitte à revenir ensuite sur elle-même, à s’écarter du premier mouvement, à y revenir, pour aller plus loin, et ainsi de suite. Alors, si l’on accepte ce postulat, oui, Péguy est lisible, encore et toujours plus lisible.
    (…)
    Au total, victime de récupérations successives, de malentendus, d’idées toutes faites (Péguy écrivait : « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée, c’est d’avoir une pensée toute faite »), la rumeur selon laquelle  Péguy serait illisible a pu prospérer. Mais comme toutes les rumeurs, celle-là n’est pas la vérité, elle est même le contraire de la vérité ! J’espère vous en avoir persuadé. Et si vous ne l’étiez pas encore, je me permets un conseil : lisez-le !