Avec Je viens de Damas, Marieke Aucante nous propose l’un de ses livres les plus forts. C’est une histoire faite d’histoires vraies, un roman qui dit tout le malheur du monde et qui restitue pourtant des moments de bonheur et de grâce au cœur de la tragédie.
C’est l’histoire d’une adolescente de quinze ans, Yasmina, et de son petit frère Elias, handicapé – il est muet – qui ont connu des années heureuses dans leur famille à Damas et dont le père, la mère, la sœur, les grands-parents, chrétiens, sont assassinés par des djihadistes – des « barbares. » « Papa, parce qu’il est chrétien maronite, se sentait menacé. Il venait prier à l’église. Les djihadistes étaient bien décidés à ne pas laisser un seul vivant qui pourrait témoigner. »
Tout bascule dans l’horreur. « Fini le temps où musulmans, orthodoxes, catholiques, kurdes, maronites, syriaques, arméniens, chaldéens et melkites se parlaient dans la bonne humeur en achetant des mandarines au souk. »
Fini le temps où le père de Yasmina, tisseur de soie, réalisait des pièces « qui faisaient sa réputation, comme avant lui ses ancêtres avaient travaillé la plus belle soie de Damas. »
Yasmina part donc sur la route avec la robe « bleu couleur de ciel » que son père lui a tissée pour ses quinze ans. Elle part pour l’odyssée des exilés, tenant par la main son petit frère. Elle part pour rejoindre sa tante à Londres, fidèle aux derniers mots que lui a dits sa mère avant de mourir.
Les étapes se succèdent : le Kurdistan, la Turquie, Lampedusa, l’Italie, Nice, Calais, Paris.
Yasmina avance donc avec son petit frère en cette odyssée des temps modernes.
Elle connaît l’horreur et parvient à éconduire un violeur avec son petit poignard. Elle connaît la peur, la misère, la solitude. Elle ne perd jamais espoir. Elle a la farouche, l’irrépressble volonté de vivre. Comme pour tant d’autres, l’Angleterre est pour elle le havre espéré.
Elle tient bon, y compris dans la traversée en bateau de cette mer Méditerranée qui est devenue, hélas – et cela ne s’arrange pas –, un cimetière à ciel ouvert.
Elle fait aussi d’heureuses rencontres. Des personnes de toutes nationalités, de toutes religions et sans religion l’aident, l’hébergent, l’aiment.
Dans la jungle de Calais, elle côtoie à nouveau l’horreur. Heureusement, une bénévole la prend par la main.
Je ne raconterai pas la suite, vous laissant la découvrir…
… Sachez seulement que l’on retrouve à la fin Elias qui souffle sur une fleur de coquelicot dont il avait semé les graines et que les pétales s’envolent, « légers comme un cocon de soie à Damas. »
Je ne sais si ce livre est le 23e ou le 24e de Marieke Aucante. Je sais simplement que c’est l’un des plus forts, des plus actuels – et qu’il mérite d’être lu !
Jean-Pierre Sueur