Parlement

  • Le BQ, 5 novembre 2021,

  • Le BQ, 28 octobre 2021

  • L'Humanité; 4 novembre 2021

     
  • Le Monde, 5 novembre 2021

     
  • Le Monde, 21 octobre 2021

     
  • Sud-Ouest, 4 novembre 2021

     
  • AFP, 4 novembre 2021

  • Le Monde - blog, 10 novembre 2021

     
  • Public Sénat, 4 novembre 2021

  • Éditorial du numéro de novembre 2021 (35) de La Lettre de Jean-Pierre Sueur

    Montesquieu, mieux que tout autre, a démontré les vertus de la séparation des pouvoirs. Il est essentiel et salutaire pour la démocratie que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire assument pleinement les prérogatives qui leur reviennent en vertu de la Constitution.
    La Cinquième République a eu le mérite de doter notre pays d’un exécutif fort. C’était nécessaire : le régime précédent l’avait amplement démontré.
    Mais un exécutif fort n’appelle pas un législatif faible. Tout au contraire.
    Il revient au Parlement d’écrire et de voter la loi, mais également de contrôler le pouvoir exécutif. Ces tâches sont éminentes. Elles sont dévolues aux représentants de la Nation que sont les députés et les sénateurs.
    Si je rappelle ces évidences, c’est parce qu’il me paraît aujourd’hui indispensable de le faire.
    Il existe une possibilité pour le pouvoir exécutif de se substituer, pour un temps et dans certains domaines, au pouvoir législatif, dès lors qu’il y a été habilité par le Parlement. Cela s’appelle le recours aux ordonnances. Celui-ci peut se justifier par l’urgence ou par des circonstances exceptionnelles comme la crise sanitaire.
    Mais la crise sanitaire ne saurait justifier les centaines d’ordonnances qui nous sont « infligées » (fût-ce après des lois d’habilitation souvent très générales) dans quantité de matières, jusqu’à l’organisation de l’État, de sa fonction publique, de ses inspections, des lieux de formation de ses responsables…, sujets dont il serait pourtant nécessaire que le Parlement puisse débattre.
    Si l’on ajoute à cette pléthore d’ordonnances les limitations apportées au droit d’amendement et la quasi généralisation de la « procédure accélérée » qui permet d’abréger la « navette » et qui n’est pas sans conséquence sur l’écriture de la loi, on voit qu’il n’est pas superflu de défendre les droits du Parlement. C’est ce à quoi je me suis voué en écrivant ou en défendant plusieurs propositions de loi.
    Il ne s’agit pas, soyez-en sûrs, d’une défense corporatiste !
    Non, il s’agit de retrouver l’équilibre des pouvoirs, sans lequel la République n’est plus elle-même.
    Il s’agit d’en revenir à Montesquieu.

    Jean-Pierre Sueur

    >> Lire toute La Lettre n°35

  • À un moment où, avec l’accumulation des ordonnances, le pouvoir exécutif s’approprie dans les faits une part non négligeable des prérogatives du Parlement, il est juste, nécessaire et salutaire de réfléchir pour le futur à un meilleur équilibre de nos institutions et à un rôle accru du Parlement.
    C’est l’objet d’un livre qui vient de paraître sous la direction de Dominique Raimbourg et de Philippe Quéré : La force (possible) du Parlement (éditions L’Ours) qui rassemble vingt-trois contributions, dont la mienne.
    On trouvera ci-dessous cette contribution qui porte sur le rôle et l’utilité des commissions de contrôle parlementaire, et, tout particulièrement, sur la commission relative à l’affaire Benalla, dont j’ai été l’un des rapporteurs.
    On le lira : j’ai pesé soigneusement les termes de cette contribution.
    Jean-Pierre Sueur
  • Public Sénat, 27 octobre 2021

  • Cette année, il n’y aura pas de débat public au Sénat sur la partie « dépenses » de la loi de finances pour 2022.
    Pourquoi ?
    Parce que la majorité du Sénat a choisi de rejeter la première partie, consacrée aux recettes, après l’avoir, pourtant, largement modifiée.
    Les années précédentes, au bénéfice de ses amendements, la majorité adoptait la première partie, ce qui permettait de débattre en séance du budget de chacun des ministères.
    Je conçois l’agacement – voire plus ! – que suscite l’annonce quotidienne, par le président de la République et le gouvernement, de nouvelles dépenses, à caractère souvent électoral, pour répondre aux vœux supposés des Français – alors qu’aucune de ces dépenses n’est inscrite dans le projet de loi de finances initial, et qu’elles suscitent donc une pléthore d’amendements gouvernementaux successifs.
    Mais comme l’a dit à la tribune du Sénat mon collègue et ami Rémi Féraud : « Comme elle s’oppose à la partie dépenses, la majorité sénatoriale va rejeter les recettes alors qu’elle a adopté tous les articles parfois en les modifiant. »
    Je ne cacherai pas mon désaccord avec cet état de choses.
    Pour défendre constamment les droits du Parlement par des propositions de loi, des tribunes dans la presse, des interventions en séance, je crois pouvoir dire que je tiens, pour ma part, à ce que – comme c’est souvent le cas – le Sénat accomplisse pleinement la tâche qui est la sienne et donc débatte du budget de chaque ministère.
    J’éprouve le même malaise lorsqu’en nouvelle lecture (après l’échec de la commission mixte paritaire), la majorité du Sénat propose de voter une question préalable dont l’objet est de décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.
    Pour être complet, je dois ajouter que cette attitude est souvent justifiée par le caractère bloqué et monolithique des votes de l’imposante majorité de l’Assemblée Nationale. Dès lors qu’il apparaît que celle-ci n’adoptera pas le moindre amendement provenant du Sénat et se rangera systématiquement derrière les positions de l’exécutif, à quoi bon faire de nouvelles propositions ?
    Au total, c’est toujours la même question qui revient : celle du plein exercice par les deux assemblées du Parlement des droits qui leur sont dévolus par la Constitution.
    Jean-Pierre Sueur
  • Le Sénat vient de publier le document qu'on lira ci-dessous qui présente un bilan statistique de l'activité du Sénat lors du dernier quinquennat.
    Ce document qui a le mérite d'être factuel, clair et précis, m'inspire quelques réflexions que je vous livre en toute simplicité.
     
    Je commence par ce qui est positif.
    1. Nous travaillons beaucoup... et c'est tout à fait normal. Dès lors que nous choisissons de solliciter les suffrages des grands électeurs, il est normal que nous nous attachions à exercer pleinement la mission qui est la nôtre. C'est aussi qu'il y a eu durant ce quinquennat 584 jours et 3 845 heures de séances (dont 812 heures en soirée et la nuit).
    2. J'incluerai dans ce travail, tout ce qui relève du contrôle de l'exécutif, et ce qui figure page 4 dans le document, et j'y ajouterai les commissions d'enquête parlementaire qui ont accompli un travail considérable depuis la commission "Benalla", jusqu'à celles sur la fiscalité, la situation hospitalière ou le recours excessif aux bureaux d'études...et la liste pourrait être longue !
    3. Contrairement à ce qu'on fait croire parfois, il y a davantage d'amendements provenant du Sénat que d'amendements provenant de l'Assemblée Nationale qui sont inscrits dans les textes définitifs des projets et propositions de loi. C'est ainsi que 57 % des amendements adoptés par le Sénat ont été repris par l'Assemblée Nationale au cours du quinquennat.
     
    J'en viens maintenant à ce qui est négatif.
    Je me limiterai à deux points.
    1. Le recours totalement excessif et injustifié à la procédure accélérée. C'est ainsi que sur 228 projets de loi examinés au cours du quinquennat, 226 l'ont été selon la procédure accélérée et deux seulement selon la procédure normale, de droit commun (qui prévoit deux lectures dans chaque assemblée avant la commission mixte paritaire (CMP) qui a pour objet de rechercher un accord entre les deux assemblées). C'est un véritable détournement de la lettre et de l'esprit de la Constitution : la procédure accélérée doit rester exceptionnelle et être justifiée par un véritable caractère d'urgence. Or, elle est devenue la procédure commune, normale, habituelle. Naturellement, ce détournement porte atteinte à la qualité de la loi. 
    2. Le recours abusif aux ordonnances : 350 en cinq ans ! Jamais un tel "score" n'avait été atteint précédemment. Je rappelle que les ordonnances ont pour effet de confier le soin d'établir la loi au pouvoir exécutif en lieu et place du Parlement. Cet "outil" peut être utile : tous les gouvernements y ont eu recours. Mais le nombre d'ordonnances adoptées par le gouvernement est devenu tout à fait excessif. J'ajoute que la Constitution telle qu'elle a été modifiée en 2008 stipule que la ratification des ordonnances par le Parlement doit être "expresse". Or, on constate que sur les 350 ordonnances qui ont été publiées par le Sénat, seule une ordonnance sur cinq a donné lieu à la ratification expresse par le Parlement pourtant imposée par la Constitution.
    Jean-Pierre Sueur
  • Le débat politique peut être vif, âpre, rude.
    Mais il ne doit pas porter atteinte aux personnes.
    Il doit porter sur les projets, les idées les valeurs, les actions à mettre en œuvre. Il doit permettre la critique, le contrôle des politiques publiques, la proposition.
    Mais il doit, à mon sens, toujours respecter les personnes avec lesquelles on est en désaccord.
    On peut critiquer les thèses telles qu’elles les défendent, s’y opposer, sans porter atteinte à leur personne.
    La politique, ce n’est pas la guerre. Ce doit être, au Parlement tout particulièrement, le débat, la confrontation des opinions, des projets et des propositions, au service – toujours – de la République.
    Jean-Pierre Sueur
  • Jean-Pierre Sueur s’est exprimé au sujet de « l’inflation législative » lors de la réunion publique de la commission des lois du 6 mars dernier consacrée à l’examen de la proposition de loi « tendant à améliorer le lisibilité du droit par l’abrogation des lois obsolètes. »

    >> Lire le compte-rendu intégral de son intervention

    >> (Re)voir son intervention

     

  • On a donc entendu, la semaine dernière, à l’Assemblée Nationale, des propos racistes, justement sanctionnés, qui ont révélé à ceux qui en douteraient, qu’au-delà de l’apparente dédiabolisation dont se targuent les dirigeants du Rassemblement national, le vernis craquait et la vérité revenait à la surface.
    Mais le scandale n’est pas seulement celui-là.
    L’autre scandale, que le premier ne doit pas dissimuler, c’est que la mer Méditerranée est devenue un cimetière à ciel ouvert, que les passeurs continuent, trop souvent en toute impunité, à exploiter la détresse et la misère des hommes, des femmes, des enfants qui embarquent dans des bateaux de la mort.
    Le scandale, c’est que l’on se « renvoie la balle » pour accueillir ces êtres humains, que la majorité des pays d’Europe se défausse sur les quatre pays les plus touchés – l’Italie, la Grèce, Malte, l’Espagne –, et que les polémiques amplifiées par les extrêmes droites, mais relayées au-delà, prennent le dessus sur la nécessaire recherche de solutions concrètes, au plan européen, pour pourchasser efficacement les passeurs, et pour accueillir les êtres humains qui doivent l’être, sauf à fermer les yeux sur leur malheur.
    Gérald Darmanin et Olivier Dussopt ont présenté ce qui semble être leur futur projet de loi sur l’immigration. Redoutant un débat caricatural et démagogique sur cette question importante, la Première ministre avait demandé que le projet fût reporté et à ce qu’il fît l’objet, préalablement, d’une concertation approfondie.
    Á ma connaissance, de concertation approfondie, il n’y eut point à ce jour. En outre, on peut s’étonner de certaines déclarations du ministre de l’Intérieur selon lesquelles – pour ne prendre que cet exemple – les préfets devraient « rendre la vie impossible » aux personnes frappées par une obligation de quitter le territoire français. On attendrait plutôt du ministre de l’Intérieur qu’il incite les préfets à régler les situations et à trouver des solutions.
    La réflexion et la concertation sont assurément nécessaires.
    Car si des règles et des lois sont légitimes en ce domaine – il n’en manque d’ailleurs pas – tant au plan français qu’au plan européen, on ne doit jamais oublier qu’il y a toujours eu et qu’il y aura toujours des migrations, que celles-ci ont été demandées par nous-mêmes, qu’elles sont indispensables pour assumer un certain nombre de tâches et que nous devons rester une terre d’accueil.
    La pire des choses pour bien aborder et traiter cette question de l’immigration, c’est l’hyper politisation du sujet.
    Je crains qu’on en prenne une fois encore le chemin. Mais ce chemin n’est pas le bon.
    Jean-Pierre Sueur
  • La revue de l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS) vient de publier, dans le numéro spécial sur « La force possible du Parlement » un article de Jean-Pierre Sueur relatif à l’indépendance des commissions d’enquête parlementaire, fondé en grande partie sur son travail de corapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla.

    >> Lire l’article

    >> Lire l’introduction de Dominique Raimbourg et Philippe Quéré

     

  • Il ne fallut pas moins de dix recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour que soient adoptés – par défaut – le projet de loi de finances pour 2023 et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour la même année.
    Je l’ai déjà écrit : je ne conteste pas le fait que cet article soit inscrit dans la Constitution. Il permet, en effet, à un gouvernement de gouverner, dès lors qu’il n’est pas l’objet d’une motion de censure. La réforme constitutionnelle de 2008 a d’ailleurs justement limité les possibilités offertes au pouvoir exécutif de recourir à cet article de la Constitution.
    Mais je ne peux toutefois méconnaître les efforts délétères que peut avoir l’usage abusif et systématique de cet article de la Constitution.
    C’est facile à voir depuis le Sénat, où nous avons débattu très longuement des textes auxquels l’article 49-3 a été appliqué dès qu’ils sont arrivés – partie après partie – à l’Assemblée nationale.
    En effet, non seulement le gouvernement fait adopter les textes via l’article 49-3, mais surtout – et cela passe trop souvent inaperçu – il fait adopter les textes avec les amendements votés par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) qu’il choisit de retenir, à l’exclusion de tous ceux qu’il choisit de ne pas retenir.
    Les conséquences sont loin d’être négligeables. En effet, dans la procédure « habituelle », chaque assemblée adopte ses propres amendements. Les différentes versions sont ensuite confrontées lors d’une commission mixte paritaire avant l’adoption finale du texte.
    Avec la conception du 49-3 mise en œuvre par l’actuel gouvernement, il en va tout autrement. Ainsi les importantes avancées votées par le Sénat pour le financement des collectivités locales qui doivent faire face aux lourdes hausses de l’énergie… sont considérablement réduites au moment où le 49-3 est asséné, faute que nombre de nos amendements, pourtant votés, soient retenus par le pouvoir exécutif.
    De même, un amendement du gouvernement pourtant peu débattu, et en tout cas rejeté, sur la prise en charge par les intéressés du coût du compte personnel de formation (CPF) – comme on verra ci-dessous – est adopté en dépit des solides réserves qu’il a suscitées dans les deux assemblées.
    Au total, l’usage systématique du 49-3 porte réellement atteinte aux prérogatives du Parlement qui – rappelons-le ! – représente la Nation.
    Jean-Pierre Sueur
  • … Il n’y a jamais eu tant de tribunes dans les journaux exposant ce que le Conseil constitutionnel doit, devrait, pourrait, ne doit pas, ne devrait pas, ne pourrait pas… décider sur le projet de loi sur les retraites…émanant d’éminents constitutionnalistesayant, évidemment, des idées différentes sur le sujet, qu’on en vient à considérer que le Conseil, et lui seul, détient les clés de la loi ou de l’absence de loi, lui prêtant toutes sortes de prérogatives, d’intentions et de présomptions.
    Il me semble que, face à ce déferlement, il faut raison garder !
    Bien que son existence même fut souvent par, le passé, mise en cause, il m’apparaît tout d’abord qu’il est bon qu'il existe une instance chargée de veiller à la défense de la Constitution,au-delà des circonstances politiques changeantes. C’est d’ailleurs le cas dans toutes les grandes et vraiesdémocraties.
    Je me contenterai de quatre remarques à ce sujet, avant d’aborder la question de la loi sur les retraites.
    Première remarque : la composition du Conseil constitutionnel reste un objet de débat. Il compte aujourd’hui deux anciens Premiers ministres, deux anciens ministres d’Emmanuel Macron, un ancien sénateur et quatre juristes dont deux au moinsont été très liés à l’activité parlementaire. Impossible de méconnaître que la majorité de ses membres sont des politiques –même s’ils diront tous que, dès lors qu’ils sont membres de ce Conseil, leur seul et unique rôle est d’être les gardiens de la Constitution. Certains préconisent que le Conseil ne soit composé que de juristes ou de magistrats n’ayant jamais exercé de fonctions électives… Mais on objectera ce qu'on irait alors vers un « conseil de juges » n’ayant pas d’expérience du gouvernement ni du Parlement ni des collectivités locales. C’est un sujet de débat par rapport auquel je dirai seulement qu’il peut paraître paradoxal que des ministres ou parlementaires ayant participé récemment au vote des lois, à leur préparation, à leur défenseet bien sûr à l'élaboration de la politique des derniers gouvernements, en deviennent peu après les juges constitutionnels objectifs, même si je sais qu’ils peuvent se déporter et qu’ils le font.
    Ma seconde remarque porte sur la nature des décisions prises par le Conseil. Pour les lire avec soin, il m’apparaît qu’elles sont de plus en plus longues et complexes. On se perd parfois entre tous les « considérants », entre les décisions et les « réserves d’interprétation » – sans oublier les « commentaires » dont les membres du Conseil assortissent leurs décisions : il s’agit là d’une littérature au statut incertain puisqu’elle n’est pas la décision elle-même… mais est censée nous expliquer comment on doit la comprendre, l’interpréter ou l’appliquer. Il s’ensuit toute une jurisprudence au sein de laquelle le profane a quelques peines à se retrouver.
    Troisième remarque : j’ai souvent déjà dit les effets néfastes d’une jurisprudence qui a dû se mettre en place vers les années 2010 et qui conduit le Conseil à pourfendre immanquablement tous les amendements qui, selon lui, n’ont pas de rapport avec le texte de loi en discussion –ce qui me paraît méconnaître la lettre de la Constitution (je me permets de le dire humblement) en vertu de laquelle tout amendement ayant un rapport « même indirect » avec le texte est recevable en première lecture (cf. son article 45). La conséquence de cette jurisprudence trop dirimante est que les assemblées parlementaires finissent par pratiquer préventivement une autocensure à cet égard, qui porte atteinte au droit d’amendement. Mais je ne développe pas ce sujet, pour l’avoir souvent fait.
    Quatrième et dernière remarque – avant d’en venir aux retraites. Il est, bien sûr, bénéfique que soixante députés ou soixante sénateurs puissent déférer tout projet de loi adopté devant le Conseil constitutionnel – ce qui n’était pas le cas au départ –et que depuis la réforme constitutionnelle de 2008, tous les citoyens puissent, dans des conditions déterminées, saisir le Conseil constitutionnel de toute loi –y compris très ancienne –en vertu de laquelle ils se trouvent devant les tribunaux, dès lors qu’ils considèrent que cette loi n’est pas conforme à la Constitution. Cette procédure dénommée « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) est assurément un progrès pour les droits de tous et pour la démocratie.
     
    J’en viens au projet de loi sur les retraites.
    Comme l’a dit – notamment ­ Dominique Rousseau, il y a un argument de poids pour l’inconstitutionnalité du texte : c’est le fait que le gouvernement ait eu recours à l’article 47-1 de la Constitution. Cet article est destiné aux lois de finances et à elles seules. Il se justifie par la nécessité que les budgets de l’État et de la sécurité sociale soient votés avant le 31 décembre de chaque année. Sous les précédentes républiques, on devait arrêter les pendules. Les délais dans lesquels doivent se dérouler les débats et les votes sont ainsi contraints.
    Mais c’est par un abus de procédure que le gouvernement a considéré qu’une réformedes retraites relevait…d’une loi de finances rectificative… alors qu’il s’agit d’une loi sociale, ayant un objet propre, qui a évidemment des conséquences budgétaires (comme c’est le cas pour toutes les lois…), mais qui n’est pas une loi de finances ! Rappelons, en outre, que le fameux article 49-3 peut toujours s’appliquer aux lois de finances même si la réforme de 2008 a heureusement limité son usage…
    Autres arguments : le débat parlementaire s’est déroulé de façon singulière. L’Assemblée nationale n’a étudié, en séance plénière, que deux articles. On ne peut donc pas dire que les représentants de celles-ciau sein de la commission mixte paritaire aient été mandatés par leur assemblée pour défendre une quelconque position. Et quant au débat au Sénat, on a vu qu’il était marqué par une accumulation sans précédentde toutes les ressources de la Constitution et du règlement de cette assemblée (et ni l’un ni l’autre n’en manquent) pour restreindre dans la dernière semaine la possibilité d’argumenter… Et Dominique Rousseau ajoute que « des amendements ont été jugés irrecevables de manière très discutable » (j’ajoute qu’une interprétation fallacieuse de l’article 45 de la Constitution a encore frappé…), que « les débats ont pour le moins manqué au principe constitutionnel de clarté et de sincérité » reconnu par le Conseil, notamment sur la pension minimale à 1 200 €.
    Et il conclut que « sur ces seuls motifs », le Conseil peut censurer la loi et que « l’apaisement social serait immédiat… »
    Cela me paraît clair. Mais je n’ignore pas ce que disent d’autresconstitutionnalistes. Il est rare que le Conseil censure l’ensemble d’une loi. On peut arguer que celle-ci ne manque pas d’aspects financiers.Et les usages rappelés ci-dessus peuvent tout à fait conduire le Conseil à invalider certains articles (sur l’index senior par exemple), à limiter la portée de certains autres articles et à ajouter quelques réserves d’interprétation… sans compter les inévitables « commentaires »
    Je tirerai de tout cela quelques conclusions simples :
    1) Le respect de la Constitution est essentiel.
    2) Nous sommes dans un État de droit et c’est essentiel.
    3) Le droit ne relève pas de la science exacte, sa mise en œuvre n’est pas mathématique.
    4) Croire qu’il existe un droit épuré de toute considérationliée aux circonstances, aux contextes – et même aux convictions politiques – est sans doute illusoire.
    5) Il s’ensuit que le droit – en cette haute instance comme en toute autre – est un ensemble de choix humainséclairés par des règles, effectués par des humains dans un contexte humain !
    Jean-Pierre Sueur
     
    Post-scriptum. Pour ne pas allonger ce texte déjà trop long, je n’ai pas évoqué le fait que le Conseil constitutionnel devra– le même jour a-t-il annoncé –statuer à la fois sur la loi sur les retraites et sur la demande de recours à un référendum d’initiative partagée (RIP) en vertu de l’article 11 de la Constitution, demande dont je suis signataire. Ce n'est pas le moindre des paradoxesque le Conseil pourrait, le même jour, valider même partiellement la loi, ouvrant la voie à sa promulgation (le président de la République ne pourrait pas ne pas la promulguer) et le lancement d’un processus référendaire ayant pour objectif d’abolir ladite loi. Celle-ci serait donc théoriquement « applicable » mais pratiquement en sursis –si tant est que les conditions fixées par l’article 11, qui sont assez complexes, soient remplies ! Nous aurons – peut-être –l’occasion d’en reparler.