Je me souviens, comme si c’était hier, du débat à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi instaurant le prix unique du livre, porté par Jack Lang. Une loi fondatrice, aujourd’hui largement reconnue, mais qui fut durement combattue avant même que d’être écrite et ensuite, après sa promulgation, par tous ceux, porteurs d’intérêts et patrons de grandes surfaces, qui n’en voulaient absolument pas !
Je m’en souviens… parce que c’est sur ce texte que j’ai fait, il y a donc quarante ans, ma première intervention parlementaire en séance publique. Il y en eut depuis quelques milliers d’autres…
Et cette intervention que je me permets (on me le pardonnera) de reproduire intégralement ci-dessous (elle n’est pas si longue…) qui portait sur un amendement et un sous-amendement, est très révélatrice de l’état d’esprit qui était le nôtre. Nous voulions que la loi fût rigoureuse et appliquée en toute rigueur, ce qui nous conduisit à être vigilants, y compris à l’égard des latitudes proposées par le gouvernement. Et déjà, je pointais avec d’autres des risques de dévoiement portant, en particulier, sur la répercussion de tarifs postaux qui sont toujours d’actualité, comme le montrent les pratiques de certains grands groupes, bien connus.
Il n’en demeure pas moins que cette loi était et reste emblématique. Elle a permis le maintien de milliers de librairies dans notre pays – alors que, faute d’un dispositif similaire, nombre de disquaires ont dû fermer leurs portes.
Cette loi montre les limites de la loi du marché. Pour nécessaire qu’il soit, le marché doit trouver ses limites. Car, comme disait Michel Rocard, il est myope. Et il n’est pas vrai que la régulation dite naturelle du marché produise naturellement l’accès de tous à la culture. Le succès de cette loi que nous devons continuer à soutenir en est l’illustration.
J’ajoute que François Mitterrand et Robert Badinter en furent, aux côtés de Jack Lang, les ardents défenseurs ! Quelles que fussent les circonstances, François Mitterrand ne concevait pas de vivre sans livre et sans lecture – fût-ce un seul jour. Je me souviens de cette photo qui le montre dans un avion, entre deux meetings, dans les derniers jours d’une campagne électorale décisive, lire les Lettrines de Julien Gracq, cependant que tout le monde s’agitait autour de lui…
Encore un mot, ou deux.
Relisant le Journal Officiel pour retrouver mon intervention, je me rappelle que la séance, décisive, était présidée par la très chère Marie Jacq, alors députée du Finistère. Je découvre que le Journal Officiel rapporte qu’on l’appelait « Madame le Président ». Les temps ont changé !
Je me souviens aussi que le projet de loi fut présenté d’abord au Sénat. Ce choix avait suscité des critiques et des appréhensions. Et pourtant, le texte fut très largement adopté au Sénat, grâce en particulier au remarquable avocat que fut Robert Schumann.
Quant à l’Assemblée, le projet de loi y fut voté à l’unanimité… avec le soutien de Jacques Chirac qui déclara : « Le livre n’est pas un produit comme les autres […] Je suis pour la liberté des prix dans tous les autres domaines. Mais là, je suis favorable au prix unique du livre. »
Le livre, donc, rassemble !
Qu’il me soit permis de remercier Sophie Todescato et l’équipe de la librairie « Les temps modernes » à Orléans qui, à l’occasion de cet anniversaire, ont distribué à leurs fidèles clients le beau livre publié par plusieurs éditeurs regroupés au sein de l’association VERBES : Que vive la loi unique du prix du livre ! La loi Lang a 40 ans.
Jean-Pierre Sueur
Assemblée Nationale
Compte-rendu intégral
2e séance du 30 juillet 1981
Présidence de Marie Jacq
Mme le président. La parole est à M. Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je fais partie des signataires de l'amendement n° 8 dont le texte se retrouve intégralement dans l'amendement n° 1 et, par conséquent, je suis hostile au sous-amendement de M. Haby. Ce texte est ainsi rédigé :« Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur à l'importateur. »
Il nous a semblé en effet que la loi instaurant le prix unique du livre devait être appliquée le plus strictement possible et les éventuelles dérogations soigneusement limitées et très clairement justifiées. Le Gouvernement a proposé que le prix du livre puisse varier de 5 %à la baisse et de 5 % à la hausse. Cette mesure nous paraît justifiée dans le premier cas, mais non dans le second. En effet, l'augmentation de 5 % met en cause le principe de l'égalité des citoyens devant l'achat du même livre, puisque l'encouragement à répercuter les frais de port dans les prix risque d'entraîner des disparités géographiques très contestables. C'est pourquoi nous n'acceptons pas l'amendement du Sénat qui reprend à son compte cette possibilité de hausse du prix du livre liée au coût du transport. Il n'y a pas de raison non plus pour faire payer plus cher un livre commandé à l'unité : cela fait partie du service qu'on doit normalement attendre des libraires. Ceux-ci en conviendront d'autant mieux que le présent projet de loi doit leur permettre d'exercer leur profession dans des conditions de concurrence normales et de mettre fin aux graves préjudices qu'ils subissaient du fait de l'arrêté Monory.
Enfin, notre amendement, en restreignant à 5 % la flexibilité possible du prix, évite que des dispositions, par trop laxistes eu égard aux buts que vise la loi, n'en atténuent à l’avance l'effet escompté. C’est pourquoi le sous-amendement de M. René Haby nous paraît relever de la même critique.