C’est un important ouvrage, publié aux Presses universitaires de Rennes, que nous livrent vingt-trois universitaires, enseignants-chercheurs, dont beaucoup appartiennent aux Universités d’Orléans et de Tours, sous le titre, en partie inexact de
Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire. Les monographies qui y sont réunies ne portent en effet pas seulement sur les
« lieux de mémoire », mais aussi sur des personnages (des
« acteurs ») et des événements (des
« moments »). Cela pourrait paraître disparate, mais ne l’est pas, puisqu’il s’agit de cerner l’identité de notre région Centre-Val de Loire. Et que cette identité est faite de paysages, de villes, de monuments, mais aussi d’hommes et de femmes, et d’événements, qui ont façonné son histoire.
On passe donc de la géographie à l’histoire, de la littérature à la sociologie, de l’urbanisme à la philosophie… Et une question parcourt la plupart des contributions. Cette question est bien connue, mais elle mérite encore d’être approfondie : cette question c’est, justement, celle de l’identité de cette région. A-t-elle une identité ? Quelle est-elle ? Son existence est-elle un artifice, une construction arbitraire, un rassemblement de terroirs très divers réunis sous le vocable « Centre » – un vocable qui ne veut pas dire grand-chose, qui ne « parle » pas et ne définit pas même une entité géographique.
C’est pourquoi – on me permettra cette note personnelle – l’amendement parlementaire que je suis le plus fier d’avoir défendu, parmi quelque milliers d’autres, est celui qui a été déposé et voté au Sénat, puis à l’Assemblée Nationale par lequel la région Centre devenait, au terme de la loi, la région « Centre-Val de Loire ». Le Val de Loire est connu. Il est un atout exceptionnel. Aimé des rois, il mérite de l’être de nos républiques. Et même si tous les terroirs qui composent la région ne voient pas la Loire couler en leur sein, nombre de ses affluents les irriguent, et ce dernier « fleuve sauvage » de France constitue assurément « l’épine dorsale » de la région.
Au-delà de l’appellation, d’autres raisons expliquent la difficulté pour notre région de s’approprier une identité claire. Ainsi, Pierre Allorant évoque, en conclusion de l’ouvrage, « son rapport ambivalent à une mémoire nationale si souvent confondue avec son propre souvenir, participant sans doute à un travail de déni d’une région qui fut autrefois le domaine royal »,et il cite Michelet pour qui « le sort d’Orléans a souvent été celui de la France. »
Bien des personnages, illustres ou moins connus, apparaissent au fil de l’ouvrage. À commencer par Jeanne d’Arc au sujet de laquelle Françoise Michaud-Fréjaville pourfend – une fois encore ! – quelques idées toutes faites. On lit avec intérêt le texte de Michel Verbeke sur le docteur Pierre Dézarnaulds qui fut député, ministre, maire de Gien – la maire de la reconstruction –, en attendant le livre que devrait écrire le même Michel Verbeke et que le riche parcours de Dézarnauld justifierait amplement. On découvre, grâce à Philippe Nivet, le rôle trop méconnu dans la Résistance d’Henri Duvillard, gaulliste historique s’il en fût. Noëlline Castagnez nous présente une analyse très documentée de la manière dont fut vécue et perçue la fin tragique de Pierre Chevallier, maire de la reconstruction d’Orléans, et du procès qui s’ensuivit, à partir des journaux – régionaux et nationaux – de l’époque.
Il faudrait tout citer…
Je me bornerai, pour conclure, à évoquer ce que nous décrit justement Joël Mirloup (repris en partie par Pierre Allorant) quant à notre histoire ferroviaire. Alors que la gare des Aubrais fut un nœud ferroviaire très important par le passé, une part très significative de la région Centre-Val de Loire a « raté le coche » du TGV, à commencer par sa capitale, Orléans, puisque le tracé passant par Vendôme lui fut préféré. Premier échec suivi d’un second. Alors qu’un accord avait été signé entre l’État et les trois régions concernées pour une liaison rapide (pendulaire) reliant Paris, Orléans, Limoges et Toulouse (le POLT), celui-ci fut rayé d’un trait de plume par le ministre Gilles de Robien sous la faux prétexte que le pendulaire « n’était pas au point. »Ce projet était pourtant essentiel en termes d’aménagement du territoire. Faute de le réaliser, on structurait l’espace autour de deux axes : Paris-Lyon-Marseille et Paris-Poitiers-Bordeaux. Et entre les deux, le vide… Oui, ce fut un nouvel et rude échec. Je suis de ceux qui – comme Joël Mirloup – défendent une liaison allant de Paris à Lyon en passant par Orléans et Nevers, et une autre qui irait de Paris à Orléans et Châteauroux pour rejoindre le POLT. On a appelé ce projet « l’Y inversé ». Puisse-t-il vivre ! C’est le vœu que j’émets, même si je connais les scepticismes ambiants.
Mais pour finir sur une note positive, je remercierai nos vingt-trois auteurs de mettre en valeur tant d’atouts de notre région. Des atouts qui donnent de l’espoir – et confortent tous les « acteurs » qui, aujourd’hui et demain, vont et veulent aller de l’avant.
Jean-Pierre Sueur
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Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire, sous la direction de Pierre Allorant, Walter Badier, Alexandre Borell et Jean Garrigues, PUR éditions, 320 pages, 25 €