Iannis Roder vient de se voir décerner le Prix Jean-Zay pour son septième livre :
La jeunesse française l’école et la République. Il y poursuit un travail d’analyse très éclairant effectué à partir de l’expérience qui est la sienne : agrégé d’histoire, il est depuis vingt-trois ans professeur dans le même collège de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis.
Son constat de départ est sévère : « Il serait temps d’accepter le réel tel qu’il est au lieu de refuser de voir ce que tout le monde constate : une partie de la jeunesse fait doucement, mais sûrement, sécession […] Parce que nous savons que la République et la démocratie sont mortelles et qu’elles ne doivent leur existence qu’à l’attachement des Français, ce détachement d’une partie de la jeunesse de notre socle commun doit collectivement nous questionner. »
Refusant le règne de « l’hyper individualisme » ou la résignation à « l’archipélisation » de la société (en référence à Jérôme Fouquet), Iannis Roder plaide avec une grande vigueur pour le retour aux principes républicains fondateurs, pour une claire mise en œuvre de la laïcité, citant Ferdinand Buisson et Jean Zay.
Cela le conduit à consacrer une grande part de son livre à la formation des enseignants. Il plaide pour que celle-ci intègre pleinement la formation à l’apprentissage de ces principes républicains.
Son plaidoyer me fait immanquablement penser aux pages inoubliables de Charles Péguy, dans L’argent, sur les écoles normales, et singulièrement celle d’Orléans, et sur ces instituteurs – les hussards noirs – qui « ne s’étaient aucunement retranchés ni sortis du peuple. Du monde ouvrier et paysan. »
Oui, lorsque les républicains bâtirent l’école de la République, ils furent extrêmement attentifs à la formation des maîtres, à ses principes et à son objet. Les écoles normales étaient indissociables du projet républicain.
On voit bien que nos modernes Instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM donc, devenus en peu d’années ESPE, puis aujourd’hui INSPE (il faut suivre !) ne suscitent pas chez Ianis Roder le même enthousiasme.
Ne simplifions pas : il s’y fait, sans doute, du bon travail, mais notre auteur a raison de plaider pour un nouveau souffle. J’ajouterai qu’il est, bien sûr, essentiel que l’université assure une solide formation disciplinaire des futurs enseignants, mais que l’articulation entre celle-ci et la pédagogie, et aussi le projet républicain, est un enjeu essentiel.
Évoquant les classements « PISA » au sein desquels la France perd des places, Iannis Roder défend à juste titre la formation, donc, et la qualité des enseignants, mais aussi le statut, la reconnaissance, la considération qu’ils doivent avoir ou retrouver au sein du corps social.
S’agissant de la Seine-Saint-Denis, il évoque les réalités matérielles. Nonobstant quelques primes, le traitement des enseignants est, certes, le même sur tout le territoire de la République… Mais Ianis Roder ajoute : « Entre une maison avec jardin à 1 700 € le mètre carré à Limoges et alentours ou un appartement à 4 400 € à Saint Denis et plus de 11 000€ (le mètre carré) à Paris, le calcul est vite fait […] Ainsi, avoir les mêmes grilles de rémunération sur l’ensemble du territoire entraîne des inégalités de pouvoir d’achat considérables. Si bien qu’en Seine-Saint-Denis, les enseignants, dans leur immense majorité, ne font que passer. »
Lui, Iannis Roder reste. Cela lui permet de nous offrir des constats lucides et précieux pour « refonder l’institution scolaire, et par là même, pour refonder le pacte républicain. »
Jean-Pierre Sueur
-
Les éditions de L'Observatoire, 220 pages, 19 €