Claude Lévi-Strauss fut d’abord le déchiffreur inlassable des civilisations enfouies et des mythes oubliés, celui qui s’indignait qu’on qualifiât de « sauvages » des cultures dont le raffinement, la complexité et la profondeur n’ont rien à envier à celles de l’Occident.
Il n’avait pas inventé le structuralisme, mais il l’a magnifié et a donné à cette méthode sa pleine fécondité. Structuraliste, il l’avait été sans le savoir, nous a-t-il dit, jusqu’à ce que l’approche devînt explicite lors de sa rencontre avec Roman Jakobson qui se traduirait d’abord par leurs analyses conjointes de poèmes de Charles Baudelaire que nous lirons toujours avec émotion.
Le structuralisme était né en linguistique. Louis Hjelmslev en a donné l’une de ses définitions les plus fortes. Une structure – écrivait-il – c’est « une entité autonome de dépendances internes ». C’est une entité qui constitue un système en soi. Ce système, en un sens, est un tout. Mais à l’intérieur de celui-ci, chaque élément n’existe – n’est défini – que par sa relation aux autres éléments. Qu’un élément vienne à disparaître et c’est tout le système qui se trouve déséquilibré et, derechef, se rééquilibre autrement. L’Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss et l’extraordinaire saga en quatre tomes que constituent les Mythologiques montrent le considérable pouvoir explicatif de la méthode structurale. Les structures sont des constellations. Elles s’engendrent, s’enchainent, se démultiplient. Leur description met en évidence les invariants et les dissemblances.
Avec Lévi-Strauss, ce sont les cultures du monde qui se trouvent ainsi explorées dans leur étonnante diversité, mais aussi dans leurs parentés souvent inattendues.
J’ajoute que Claude Lévi-Strauss n’eut jamais une vision exclusivement formelle du structuralisme. Il savait combien celui-ci avait révolutionné la linguistique et il avait mesuré - comme son ami Jakobson l’avait pressenti - que les analyses qui prétendaient exclure toute prise en compte du sens ou du sujet étaient vouées à l’échec. C’est d’ailleurs à partir du constat de cet échec que la linguistique connut un profond renouveau avec les grammaires génératives.
Rien de tel dans l’anthropologie de Lévi-Strauss. La structure est indissociable des significations ; elle induit l’interprétation.
De surcroît, son structuralisme n’est en rien antinomique de l’approche historique. Et il peut, contrairement à ce qui a été trop souvent dit, contribuer à son renouveau.
J’ajouterai que Claude Lévi-Strauss était un fabuleux écrivain, comme en témoignent les textes qu’il a lui-même choisis et qui sont réunis dans le volume de la bibliothèque de La Pléiade édité sous la direction de Vincent Debaene.
Il s’était presque excusé d’avoir consacré à l’écriture de son chef d’œuvre Tristes tropiques quelques mois arrachés à la science anthropologique. C’était un scrupule, ô combien, excessif. Son écriture est limpide et classique, et elle n’est pas sans rapport avec l’éclat des structures et des constellations qu’il admirait.
Reste, pour moi, un paradoxe qui tient au pessimisme de cet homme, ce pessimisme qu’illustrent les célèbres dernières pages de Tristes tropiques et de l’ Homme Nu. Pourquoi ce pessimisme chez un homme qui a tant célébré la beauté des choses et les infinies ressources des sociétés humaines ?
Je ne prétends répondre à cette question. C’était son choix, son mystère peut-être, quoiqu’il s’en soit expliqué. Ce qui est sûr, c’est que ce pessimisme n’était pas celui d’un homme indifférent. Je pense que c’était, au contraire, un appel à la sagesse.
Il n’avait pas inventé le structuralisme, mais il l’a magnifié et a donné à cette méthode sa pleine fécondité. Structuraliste, il l’avait été sans le savoir, nous a-t-il dit, jusqu’à ce que l’approche devînt explicite lors de sa rencontre avec Roman Jakobson qui se traduirait d’abord par leurs analyses conjointes de poèmes de Charles Baudelaire que nous lirons toujours avec émotion.
Le structuralisme était né en linguistique. Louis Hjelmslev en a donné l’une de ses définitions les plus fortes. Une structure – écrivait-il – c’est « une entité autonome de dépendances internes ». C’est une entité qui constitue un système en soi. Ce système, en un sens, est un tout. Mais à l’intérieur de celui-ci, chaque élément n’existe – n’est défini – que par sa relation aux autres éléments. Qu’un élément vienne à disparaître et c’est tout le système qui se trouve déséquilibré et, derechef, se rééquilibre autrement. L’Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss et l’extraordinaire saga en quatre tomes que constituent les Mythologiques montrent le considérable pouvoir explicatif de la méthode structurale. Les structures sont des constellations. Elles s’engendrent, s’enchainent, se démultiplient. Leur description met en évidence les invariants et les dissemblances.
Avec Lévi-Strauss, ce sont les cultures du monde qui se trouvent ainsi explorées dans leur étonnante diversité, mais aussi dans leurs parentés souvent inattendues.
J’ajoute que Claude Lévi-Strauss n’eut jamais une vision exclusivement formelle du structuralisme. Il savait combien celui-ci avait révolutionné la linguistique et il avait mesuré - comme son ami Jakobson l’avait pressenti - que les analyses qui prétendaient exclure toute prise en compte du sens ou du sujet étaient vouées à l’échec. C’est d’ailleurs à partir du constat de cet échec que la linguistique connut un profond renouveau avec les grammaires génératives.
Rien de tel dans l’anthropologie de Lévi-Strauss. La structure est indissociable des significations ; elle induit l’interprétation.
De surcroît, son structuralisme n’est en rien antinomique de l’approche historique. Et il peut, contrairement à ce qui a été trop souvent dit, contribuer à son renouveau.
J’ajouterai que Claude Lévi-Strauss était un fabuleux écrivain, comme en témoignent les textes qu’il a lui-même choisis et qui sont réunis dans le volume de la bibliothèque de La Pléiade édité sous la direction de Vincent Debaene.
Il s’était presque excusé d’avoir consacré à l’écriture de son chef d’œuvre Tristes tropiques quelques mois arrachés à la science anthropologique. C’était un scrupule, ô combien, excessif. Son écriture est limpide et classique, et elle n’est pas sans rapport avec l’éclat des structures et des constellations qu’il admirait.
Reste, pour moi, un paradoxe qui tient au pessimisme de cet homme, ce pessimisme qu’illustrent les célèbres dernières pages de Tristes tropiques et de l’ Homme Nu. Pourquoi ce pessimisme chez un homme qui a tant célébré la beauté des choses et les infinies ressources des sociétés humaines ?
Je ne prétends répondre à cette question. C’était son choix, son mystère peut-être, quoiqu’il s’en soit expliqué. Ce qui est sûr, c’est que ce pessimisme n’était pas celui d’un homme indifférent. Je pense que c’était, au contraire, un appel à la sagesse.
Jean-Pierre Sueur
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