Emmanuel Macron a donc trouvé ce nouveau mot, brandi lors du Conseil des ministres, et dûment rapporté, pour qualifier – on peut, du moins, le supposer – la situation présente.
Qu’il y ait des actes contraires à la civilisation telle que nous la concevons et à la République, c’est évident : on pense immédiatement, après le meurtre de Samuel Paty, à ces maires et ces élus victimes de violence qui ne reçoivent pas toujours – hélas ! – le soutien de l’État, pourtant indispensable – et aussi aux violences de toutes sortes, comme ces crimes commis par des chauffards imbibés d’alcool et sous l’effet de drogues, qu’il faudra requalifier pénalement alors qu’il s’agit aujourd’hui d’actes considérés comme non intentionnels. Je pense bien sûr à ces trois jeunes policiers du commissariat de Roubaix, et à leur famille ainsi qu’à leurs collègues auxquels va toute notre sympathie.
Je pense aussi à la montée des agissements et déclarations de l'ultra-droite et de l’extrême droite. Élisabeth Borne a tout à fait raison de faire remarquer que jamais la présidente du Rassemblement national n’a dénoncé les racines de ce mouvement, ni ce qui lui a donné naissance, ni les propos qui ont été tenus en son nom. Ces racines, qui sont toujours à l’œuvre et qui imprègnent toujours ce parti – faute de claire dénonciation –, sont assurément contraires à notre idée de la civilisation, aux droits de l’homme et à l’humanisme dont se réclame l’esprit républicain.
Il y a là, bien sûr, des combats à mener, une vigilance à assumer, constamment, quotidiennement.
Cela dit, allons-nous vers une « décivilisation », terme qui aurait comme signification le contraire de la civilisation, autrement dit, le retour à un état de sauvagerie, au non droit, ou – ce qui reviendrait au même – la négation des valeurs qui fondent notre civilisation ?
Je ne le crois pas. Et je partage l’analyse de Jean Viard (sur France Info) qui dit que plutôt qu’une négation de la civilisation, ce que nous vivons c’est plutôt une mutation qui nous conduit à une autre civilisation.
Entendons-nous.
Durant les « trente glorieuses » et bien après, nous avons cru à la croissance, au développement de la production dans tous les domaines, de l’accès au plus grand nombre à tous les biens nécessaires à la vie, en passant par la santé, l’éducation, la culture, les loisirs. Ce fut une fabuleuse marche en avant.
Nous voyons aujourd'hui que les temps ont changé, que l’environnement, le climat, l’avenir de la planète sont devenus des préoccupations essentielles et même urgentes.
Foncièrement humaniste, je crois que les humains sauront – en tout cas ils en ont la capacité – surmonter ce nouveau et immense défi. Il faut inventer une autre croissance, repenser nos modes de production, notre consommation. Et il faut en même temps œuvrer pour plus de justice sociale en France, en Europe, dans le monde. Car ce sont les plus riches qui polluent le plus et ce sont les plus fragiles qui souffrent le plus des changements qui affectent notre planète.
Alors je dis non à la « décivilisation » et oui à une nouvelle civilisation relevant les défis d’aujourd’hui dans le respect constant de la justice et de l’humanisme.
Jean-Pierre Sueur