Les « entrées de ville » sont un des principaux sinistres urbanistiques des cinquante dernières années. Toutes nos villes sont belles. Mais pour y parvenir, il faut partout en France franchir des « zones commerciales » de plusieurs kilomètres de long, où l’on retrouve toujours les mêmes cubes, parallélépipèdes, tôles ondulées, « boîtes à chaussures », les mêmes pancartes agressives, installées les unes dernières les autres. Dans ces espaces, c’est la loi de la marchandise qui règne. Et l’architecture est souvent devenue enseigne, puisque, pour des raisons commerciales, il faut que le bâtiment qui abrite le commerce, l’hôtel ou le restaurant, soit reconnaissable de loin.
Avec les « entrées de ville », on a défiguré des centaines d’espaces dans notre pays – contrairement à ce que l’on constate dans d’autres pays d’Europe.
J’avais déjà fait, dans mon rapport « Demain la ville » en 1998 et dans mon livre Changer la ville en 1999, des propositions à cet égard. Ambroise Dupont avait, de son côté, fait adopter une première mesure législative.
Mais depuis lors, les choses n’ont malheureusement pas vraiment changé. Elles ont souvent empiré, même si l’on constate, ici ou là, des débuts de reconquête.
C’est ce qui m’a conduit à élaborer une nouvelle proposition de loi.
Celle-ci a été discutée en séance publique le jeudi 10 décembre.
A la suite de ce débat, un texte a été adopté au Sénat – c’est une satisfaction ! – mais ce texte est très en retrait par rapport à ce que j’avais proposé – et c’est une déception qui a conduit les collègues de mon groupe et moi-même à nous abstenir sur le texte final.
Pour résumer, sur le diagnostic, tout le monde est d’accord, et chaque intervenant a commenté le « sinistre urbanistique » évoqué plus haut.
Sur les principes, il y a aussi un large accord. Le texte adopté dispose qu’il faut désormais promouvoir une meilleure qualité « urbaine, architecturale, paysagère et environnementale » des « entrées de villes ».
En revanche, sur les moyens, les positions sont différentes.
Alors que je propose une politique clairement volontariste pour reconquérir en une vingtaine d’années – car il faudra du temps – les entrées de ville, la majorité du Sénat a souhaité se limiter à des incitations dont je pense qu’elles ne suffiront pas à traiter le problème.
Plus précisément, je propose que chaque agglomération soit tenue d’élaborer d’ici 2012 un plan de « reconquête » des entrées de ville et d’abord de définir les périmètres concernés.
Je propose aussi que l’on en finisse avec des zones vouées à une seule fonction – le commerce – comme d’autres espaces urbains sont voués au seul logement, ou à la seule activité (les « parcs d’activité »), à la seule université, etc. C’est ainsi que la proposition de loi inscrit un pourcentage minimal d’autres activités à créer pour retrouver peu à peu la nécessaire pluralité de fonctions (culture, sport, université, vie associative) au sein des « entrées de ville ». Elle propose un pourcentage minimal d’espaces verts (qui font réellement défaut aujourd’hui dans les « entrées de ville »). Elle propose de réduire les « nappes de parking » conformément au « Grenelle de l’environnement » et à ce que nous défendons à la conférence de Copenhague ! Elle propose des plans urbains et paysagers, des concours d’architecture. Elle propose enfin de transformer les voies rapides qui strient ces « entrées de ville » en véritables avenues urbaines, moins traumatisantes et plus humaines, cependant qu’on développerait les transports en commun modernes pour desservir ces espaces.
Sur toutes ces propositions, il n’y avait pas de « date limite ». Mais l’on devait aller dans le sens mentionné chaque fois qu’un bâtiment ou qu’un terrain se libérait ou changeait d’affectation.
Cela n’a pourtant pas conduit la majorité du Sénat à souscrire à cette partie de la proposition de loi.
Nous nous sommes retrouvés finalement devant les mêmes réticences qu’avec l’obligation des 20% de logements sociaux inscrite dans la loi « SRU ».
Je suis pourtant persuadé que les principes et les incitations ne suffiront pas à « reconquérir » les « entrées de ville ».
Ce qui est en jeu est loin d’être négligeable : il s’agit de la qualité d’une large part de nos agglomérations, et donc de la qualité de la vie, et aussi de l’image que nous donnons de notre pays, un pays qui compte trop de richesses dans nos villes et dans ses paysages pour que l’on puisse accepter que celles-ci soient obérées par d’autres espaces aussi dégradés.
Jean-Pierre Sueur
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