C’est depuis longtemps une habitude que de dire le plus grand mal des « politiques » et de la « vie politique ». François Mitterrand m’a confié un jour que, « du plus loin qu’il s’en souvienne », cela avait toujours été le cas. Peut-être faut-il attribuer cette constante à l’esprit frondeur qui caractérise les Français. Il leur arrive aussi de célébrer a posteriori ceux qui furent longtemps l’objet de leur vindicte, comme l’ont montré les réactions presque unanimes qui ont suivi la récente disparition de Jacques Chirac.
Quoi qu’il en soit, il me paraît utile de noter – à côté des inévitables et d’ailleurs nécessaires critiques – qu’il y a aussi, dans le champ politique, des évolutions positives.
Ainsi en est-il du financement de la vie politique. La vérité consiste à reconnaître qu’en une trentaine d’années – et grâce à une trentaine de lois ! – les choses ont beaucoup changé à cet égard. Cela vaut aussi bien pour le financement des campagnes électorales et des partis politiques, pour les financements affectés aux différentes institutions publiques, que pour les déclarations de patrimoine et d’intérêt requises de nombres d’élus et de responsables des administrations publiques…
Alors qu’il y avait jadis, et encore naguère, beaucoup d’obscurité, la vérité est que nous avons avancé et continuons d’avancer vers la nécessaire transparence !
On doit cette évolution à des ministres et Premiers ministres qui ont pris de salutaires initiatives – comme Michel Rocard et Alain Juppé – mais aussi à des parlementaires courageux, au premier rang desquels je placerai mon ami René Dosière, ancien député de l’Aisne, qui vient de publier sur les « finances de l’Élysée » un livre très instructif intitulé « Frais de palais », aux éditions de l’Observatoire.
René Dosière fut l’un des premiers à s’indigner de ce que le budget de la présidence de la République ait très longtemps été d’une totale obscurité. Ainsi, en l’an 2000, la présidence de la République a dépensé 19,7 millions d’euros (en équivalent) alors que le Parlement avait voté dans la loi de finances une somme de 11,6 millions… Entre temps, les 8,1 millions nécessaires ont été prélevés sur un compte prévu pour les « catastrophes naturelles » !
En vérité, il n’y avait pas de budget de la présidence de la République. Les chiffres annoncés ne correspondaient à rien – puisque l’essentiel du budget était financé par de nombreux ministères.
René Dosière fait remarquer lui-même que ce budget, consolidé, représente 10 centimes d’euros sur 1 000 € de dépenses publiques. En comparaison, le service de la dette représente chaque année 37 € sur 1 000.
Alors, n’est-il pas « mesquin » de s’en occuper, comme François Fillon l’a dit un jour à René Dosière, s’attirant cette répartie : « Rien n’est mesquin quand il s’agit d’argent public ».
Dès 2002, celui-ci avait déclaré à l’Assemblée nationale : « Faire toute la lumière sur le budget de la présidence de la République est une expérience démocratique (…) Refusons l’hypocrisie consistant à s’abriter sur une tradition républicaine pour ne rien changer à ce qui constitue une anomalie de la République ».
À partir de là, René Dosière a développé une méthode qu’il a appelée le « parlementarisme d’investigation ». il pose – ce qui est le droit de tout parlementaire – des dizaines de questions écrites (183 entre 2002 et 2007) portant sur tous les aspects des dépenses de l’Élysée, entrant dans tous les détails, revenant inlassablement à l’assaut quand la réponse tarde ou lui est refusée. Et, peu à peu, il établit la vérité, comme on rassemble patiemment les pièces d’un puzzle.
Ceux qui ont suivi l’actualité récente savent à quel point je suis attaché à l’exercice effectif du contrôle parlementaire sur le pouvoir exécutif – sans lequel les exigences démocratiques, comme le dit René Dosière, ne sont pas assurées. Je puis dire, après avoir lu ses livres, articles et interventions qu’il fut lui-même un véritable héros du contrôle parlementaire !
Rien ne nous est épargné dans son livre s’agissant d’initiatives contestables prises par les différents présidents de la République. Toutes les dépenses sont épluchées. La rigueur dont fit preuve François Hollande, puisque le budget de l’Élysée diminue sous son quinquennat – et ne dépasse pas la somme de 100 millions d’euros durant quatre ans, avant de remonter ensuite –, cette rigueur, donc, est notée – comme elle a été reconnue par les rapporteurs du Parlement, quelle que fût leur couleur politique.
Au passage, René Dosière rappelle la décision essentielle de décembre 2012 de la Cour de Cassation, selon laquelle « aucune disposition constitutionnelle, conventionnelle ou légale ne prévoit l’immunité ou l’irresponsabilité pénale des membres du cabinet du président de la République ». Celle-ci interdit donc que tout collaborateur de la présidence puisse se prévaloir d’une quelconque immunité. Cela vaut aussi – on l’a vu – pour le fait d’être auditionné et interrogé par une commission d’enquête parlementaire.
Les résultats sont arrivés au prix de beaucoup d’efforts et de ténacité.
Ainsi, il y eut en 2008 un premier « vrai budget » de l’Élysée qui sera désormais contrôlé, chaque année, par la Cour des Comptes. Ce sera l’ « An I » du budget consolidé de l’Élysée – ce qui rompait avec ce que René Dosière allait appeler à l’Assemblée un « bric à brac de crédits dissimulés ». Mais nous n’étions pas au bout du chemin. Et René Dosière explique comment il dut redoubler de vigilance durant les années qui ont suivi, reprenant notamment les propositions de la récente commission d’enquête du Sénat, qui ne sont pas encore toutes entrées dans les faits !
En conclusion, René Dosière « démonte » le projet de réduire le nombre de parlementaires, dont il montre, chiffres à l’appui, combien il irait à l’opposé de l’indispensable proximité entre les élus nationaux et les Français – si souvent invoquée !
Quand on connaît sa proximité avec cet auteur, on ne s’étonne pas que René Dosière ait fait figurer en tête de son livre la phrase célèbre qui a ouvert le premier texte de Charles Péguy publié dans le premier numéro des « Cahiers de la Quinzaine » : « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste ».
Jean-Pierre Sueur
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Éditions de l'Observatoire, 218 pages, 19 €