Ces dernières semaines, d’écouter, de comprendre les problèmes et de les relayer auprès du gouvernement comme du Parlement.
Pour un juste prix
Première remarque : les agriculteurs demandent, à juste titre, à être payés pour leur travail. Chacun sait aujourd’hui que ce qui revient au producteur sur le prix payé pour un litre de lait ou un kilogramme de viande de porc ne correspond pas au coût du travail effectué par l’agriculteur qui a produit ces denrées. Il faut mettre en cause à ce sujet la loi LME (loi de modernisation économique) qui a complètement déséquilibré les relations entre les grandes surfaces et les représentants des producteurs. Je pense qu’il faut revoir cette loi. Et je le pense d’autant plus que je puis écrire aujourd’hui que Jean-Paul Charié, qui était député du Loiret, avec qui j’entretenais des relations amicales même si nos convictions politiques étaient différentes, et qui fut rapporteur de cette loi, m’a dit peu de temps avant sa disparition qu’il faudrait « totalement revoir le volet commercial de cette loi. » Lui qui avait, toute sa vie, défendu le commerce de proximité contre l’emprise excessive des grandes surfaces, ne se reconnaissait plus dans cette loi, ni dans ses conséquences, en dépit du fait qu’il avait assuré la fonction de rapporteur. Je le redis : il faut revoir cette loi.
Il faut aussi que les Français, et les Européens, acceptent de payer les produits de l’agriculture à leur vrai prix. Ils sont aujourd’hui trop souvent sous-payés. Ou, en tout cas, dans la formation du prix, l’agriculteur est sous-payé.
Organiser les marchés et les filières
En second lieu, il est clair que l’organisation des marchés et l’organisation des filières sont déterminantes. Quelles que soient leurs orientations politiques, la plupart des agriculteurs ne se reconnaissent pas dans l’Europe ultralibérale qu’un certain nombre de membres de la Commission font passer avant toute chose. Il y a là un funeste dogmatisme.
Je me souviens que, jeune député du Loiret, j’avais dû faire face à une manifestation d’agriculteurs qui protestaient contre l’instauration des quotas laitiers.
Un quart de siècle plus tard, j’ai vu arriver une autre manifestation d’agriculteurs qui protestaient contre la suppression des quotas laitiers…
J’ai souvent réfléchi à cette évolution. Dans les années quatre-vingt, il y avait une certaine peur des règles bureaucratiques et d’une économie administrée. On a vu ensuite que cette crainte n’était pas vraiment fondée et que si l’on renonce à organiser les capacités de production, à gérer l’éventuelle surproduction, à soutenir la filière et donc à garantir des revenus, la situation devient ingérable. Nos producteurs de lait sont les premiers à en faire les frais.
Je sais que le président François Hollande, comme le ministre Stéphane Le Foll sont intervenus pour que l’Europe maîtrise bien davantage ces processus. Je sais qu’ils le feront encore. Je sais qu’il est essentiel de trouver à cet égard des alliés en Europe. Ce qui n’est pas toujours facile, mais est nécessaire. Il faut impérativement mettre en œuvre les mécanismes de gestion des situations dramatiques comme celle que vivent les éleveurs français, relever le prix d’intervention sur le lait et réguler la production de viande porcine au niveau européen.
Charges : une décision sans précédent
De la même manière, il fallait mener la bataille des charges. Il n’est pas possible que les charges sociales soient aussi disparates entre les pays d’Europe. Je salue à cet égard la décision prise par le gouvernement français de baisser de 10 % les cotisations sociales payées par les agriculteurs. Je dirai d’ailleurs à ce sujet que certaines critiques m’apparaissent excessives quand on sait qu’aucun des précédents gouvernements n’a pris une telle mesure, qui est donc sans précédent, et qui aura pour effet de rapprocher les charges sociales payées par nos agriculteurs de la moyenne européenne.
Gagner la bataille des normes
Une autre bataille doit être menée sur le front des normes en matière d’environnement, de pesticides, etc. Je dis clairement que ces normes doivent être les mêmes pour tous les producteurs européens. Et qu’il n’est pas acceptable que l’on trouve dans les rayons de nos supermarchés des fruits et des légumes produits dans d’autres pays d’Europe avec l’aide de pesticides qui sont interdits en France. Les règles environnementales doivent être les mêmes pour tous.
De même qu’il est devenu intolérable que l’origine des viandes transformées ne soit pas clairement mentionnée avec tous les détails requis. J’ai posé une question à ce sujet à Stéphane Le Foll. La réponse qui m’a été faite ne me convient pas. Il faut faire bouger les choses à ce sujet, dans l’intérêt d’ailleurs, de l’ensemble des consommateurs européens.
Une agriculture de qualité
Troisième remarque : nous tenons en France à un certain type d’agriculture ; nous sommes attachés à la qualité de la production ; nous aimons les circuits courts et les ventes à la ferme.
Nous n’apprécions pas les « usines » où – à l’étranger – des milliers d’animaux sont « produits » (j’emploie ce terme à dessein) dans un processus qui n’a plus grand-chose à voir avec « l’agriculture paysanne ».
Ma position à ce sujet est claire. Il faut garder cette qualité de l’agriculture française à laquelle nous sommes attachés. Mais il y a aussi des évolutions à mener à bien pour ce qui est de la structure d’un certain nombre d’exploitations et de l’organisation des filières.
Je pense que ces deux orientations ne sont pas antinomiques. Les pouvoirs publics – l’État, mais aussi les Régions – doivent aider les évolutions nécessaires dans le respect des impératifs de qualité auxquels nous sommes légitimement attachés.
Malgré tout, des signes positifs
Enfin, il y a des signes positifs, internes à notre pays. Je pense au « fonds porcin » qui doit permettre le prélèvement par les collecteurs, de dix centimes par kilogramme de porc sur les acheteurs pour les restituer aux producteurs. Il y a la « charte de valeur » initiée par la Fédération nationale des producteurs de lait. Il y a la perspective de la fin de l’embargo russe : il n’est pas juste en effet que les conséquences des choix de la politique internationale qui sont faits – même si c’est à bon escient – pénalisent les agriculteurs de notre pays.
Notre agriculture est forte. Elle est un atout pour la France. Elle mérite d’être soutenue. Elle doit l’être. N’oublions pas que tous ceux qui ont été les précurseurs de politiques agricoles ambitieuses et novatrices, de François Tanguy Prigent à Edgar Pisani en passant par Michel Debatisse, se caractérisent, au-delà des différences d’approche, par un point commun : leur volonté de promouvoir l’organisation des productions, des marchés et des filières contre la loi de la jungle qu’engendrent inéluctablement des dogmes de l’ultralibéralisme.
Jean-Pierre Sueur