Un livre vient de paraître restituant l’itinéraire artistique de Daniel Caspar que lui-même décrit, entre dessin et peinture, en « périodes » dominées chacune par une couleur, du blanc au noir, avant le bleu et, beaucoup plus tard, le rouge – périodes qui sont aussi rapports au monde, à l’être, à l’existence, et entre lesquelles le mythe d’Icare, d’abord inscrit en creux, se déploie et se multiplie en singulières résonances. Je ne peux mieux faire que de renvoyer à l’un des deux textes qui – avec celui de Michel Enrici – ouvrent le livre. Il a été écrit par Colas Rist. On en lira des extraits ci-dessous. Je précise encore que l’on peut se procurer le livre chez Daniel Caspar, 2 ter avenue du Général-Leclerc à La Ferté Saint-Aubin.
JPS
« Au début, il y eut un désir de bleu. Sur papier il en tenta plusieurs, choisit l'outremer, en chercha des incarnations. Il dynamisa son expansion radieuse à la brosse, en étendue liée, d'un mouvement plus ou moins courbe. Plus tard le noir vint interpeller le bleu.
Apparurent des traits rompus, fusants, cherchant la verticale, puis d'autres, posés, progressifs, calligraphiques. Dans ce jeu intervenait le blanc : le déjà-là, la matière première, le papier, l'impensé. Des années durant, le peintre explora leurs accords, leurs dissonances.
Au cours de ce travail, mené dans l'inquiétude et les joies échues, les mots advinrent. Le bleu convoqua mer, ciel, lumière, sérénité, les traits noirs portèrent, selon le régime de leur tracement, le négatif, les éclairs, des chutes et des ascensions, ou le définitif, la terre, la mort, la nuit. Le langage se précipitait en tous sens. Ce bleu, ce noir, ce blanc, c'était l'univers en sa création. Et le jaune- car sa lumière apparut au cours de cette genèse- fut le soleil.
Or un jour que le peintre présentait, à Orléans, une exposition intitulée « Le Regard horizontal» dans laquelle apparaissaient quatorze « écarts» ou stations, correspondant à quatorze étapes dans son parcours, lui vint ce nom, comme un jeu de mots : Icare. Et le travail déjà réalisé s'adossa au rayonnement d'un mythe héroïque, qui n'était pas au départ son sujet.
(...)
Là-bas une brutale verticale noire, tracée avec un bâton de goudron enflammé, coupe en deux un rectangle d'un jaune lunaire: à son départ cette verticale se fronce de l'amorce d'une boucle, d'où la coulée noire reçoit l'élégance mystérieuse d'une écriture. Cette barre... la saisir par les mots : un bâillon sur la lumière ... le masque d'un arbre sur le visage de la lune... Mais j'entends le peintre me dire que c'est encore Icare tombant du soleil. Ah! c'est vrai, j'avais oublié Icare... Suivons le discours de l'auteur. Lisons à sa lumière la petite ondulation. Sa raison première est à coup sûr visuelle, c'est de singulariser le signe noir, mais le symbolique m'attire, et je nomme cette fronce : suspens anxieux avant la chute à pic.
Daniel Caspar, en termes classiques, est un peintre de paysages. Aujourd'hui les peintres de paysages désignables comme modernes sont devenus des peintres de l'existence. »
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