Les Français ont parfaitement intégré – depuis 1958 – les présupposés de la Cinquième République. Conformément au choix qu’ils ont fait lors de l’élection présidentielle, ils ont donné une majorité – et, en l’occurrence, une majorité absolue – au président de la République qu’ils ont élu un mois plus tôt. Celui-ci dispose donc des moyens de mettre en œuvre sa politique. Il pourra agir et faire des réformes.
C’est bien sûr l’un des grands avantages du « système » instauré dès le début de la Cinquième République, dont j’ai eu l’occasion de mettre aussi en évidence les limites. Pour moi, une assemblée parlementaire ne saurait être le prolongement du pouvoir exécutif. Je reste fidèle à Montesquieu et au principe de la séparation des pouvoirs. Il reviendra aux député(e)s nouvellement élu(e)s de veiller à être, bien sûr, membres d’une majorité cohérente –, mais à garder la liberté et l’indépendance d’esprit qui sont consubstantiels au vrai travail parlementaire.
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Trois faits ont marqué cette élection.
En premier lieu, les Français ont limité le poids de la « très forte majorité » que promettaient les sondages. Ils ont marqué à la fois leur attachement aux présupposés de la Cinquième République évoqués ci-dessus, mais ils ont en même temps mis en œuvre ce que disait François Mitterrand entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988 – au grand dam de candidats que je connais bien… –, pour qui « il n’était pas souhaitable qu’un parti fût trop dominant ».
En second lieu, je tiens à souligner que les femmes font – enfin ! – leur entrée, en nombre cette fois très significatif, à l’Assemblée nationale. La parité a d’abord été instaurée aux élections municipales. Elle l’a été aux régionales, grâce à la proportionnelle. Elle l’a été aux élections départementales par la réforme qui a réduit le nombre de cantons afin d’instaurer des « binômes ». Je note que si cette réforme a alors été contestée, plus personne ne remet – ni ne remettra – en cause la parité qu’elle a permis de mettre en œuvre dans les conseils départementaux. Si elle n’est pas strictement paritaire, l’Assemblée nationale s’en rapproche désormais beaucoup – du fait du choix du mouvement « La République en marche » qui, comme d’autres – y compris le PS – l’avaient fait auparavant, a présenté autant de femmes que d’hommes. C’est un incontestable progrès.
Le troisième fait marquant est l’abstention massive. On peut y voir un symptôme du désintérêt pour la politique. Je me souviens que François Mitterrand me disait que depuis toujours c’était une sorte de « sport national » que de décrier la politique et surtout les élus. J’y vois une forme d’injustice : ce n’est pas parce que certains élus ont un comportement répréhensible qu’il faut jeter la pierre à la grande majorité des élus qui assument leur mission avec rectitude et dévouement. Pour ma part, je ne saurais me résigner à cette forte abstention. Je pense toujours à tous ceux qui dans le monde se sont battus, et ont donné leur vie, pour que nous ayons le droit et la liberté de voter. Je ne sais pas s’il faut rendre le vote obligatoire. C’est une possibilité. Mais je sais que mon instituteur inscrivait sur le tableau : « Voter est un devoir » – et qu’il serait bien d’enseigner constamment aux enfants et aux jeunes – comme certains enseignants, soyons justes, le font – les principes les plus précieux qui fondent la République.
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Je termine par une question parmi bien d’autres encore que pose cette « nouvelle donne » : celle de l’avenir du Parti socialiste.
Le Parti socialiste est né en 1905. Il a une longue histoire faite d’heures glorieuses et de défaites.
Il faut, une nouvelle fois, le reconstruire.
Mais ce ne doit pas être dans l’ambiguïté.
Il nous faut de la cohérence, en tout cas plus de cohérence – c’est un euphémisme ! – que dans la dernière période.
À mon sens, ce parti doit continuer à se battre pour la justice, la solidarité, les droits de l’Homme. Il doit inscrire son combat pour la justice dans le cadre d’une économie ouverte et de la mondialisation. Il doit promouvoir un État fort centré sur ses missions régaliennes, mais aussi sur ses missions en termes de redistribution et d’aménagement du territoire : il faut donner toute leur chance à tous les territoires, ce qui doit passer par de vraies péréquations. Il doit promouvoir l’esprit d’entreprise et favoriser l’accès d’un plus grand nombre de nos concitoyens à l’acte d’entreprendre. Il doit défendre le droit au travail, tout en travaillant aux évolutions nécessaires en lien étroit avec les partenaires sociaux. Il doit être profondément européen. Il doit s’inscrire clairement de la social-démocratie européenne.
Mais il faut choisir. On ne peut pas défendre cela et son contraire.
Et dans l’immédiat, je reprendrai volontiers la formule de Stéphane Le Foll qui disait, ce lundi matin sur France Inter, qu’il devait être « constructif et vigilant. »
Constructif d’abord. Emmanuel Macron a annoncé que son action serait « progressiste ». Nous nous retrouvons, et je me retrouve, dans ce terme. J’ai déjà écrit qu’on ne pouvait pas mener une action progressiste avec des conservateurs… Et je soutiendrai toute démarche, toute action, tout projet « progressiste ».
Mais nous devons être aussi vigilants. Je rappellerai que c’est le devoir premier des parlementaires qui se doivent de défendre leurs convictions avec la liberté et l’indépendance d’esprit – j’y reviens – sans lesquelles on ne peut pas exercer dans de bonnes conditions un mandat parlementaire.
Jean-Pierre Sueur