Dès le soir des primaires de la gauche, j’ai dit que Benoît Hamon était le candidat légitime du Parti Socialiste.
Quelques jours après, j’ai signé un texte de soutien à Benoît Hamon avec de nombreux élus de notre région.
Pourquoi ai-je pris cette position ?
Essentiellement parce que je souhaite être fidèle à un parti – le PS – dont je suis l’élu depuis longtemps, dont j’ai beaucoup reçu et au sein duquel je crois avoir, là où je suis et là où j’étais, œuvré avec loyauté et conviction.
J’ajoute que, lorsqu’on le lit complètement, le programme de Benoît Hamon compte nombre de mesures positives et nécessaires qu’il s’agisse de l’éducation, de la justice sociale, ou de nombre d’autres domaines.
Mais je veux continuer de parler vrai.
Il existe aussi des divergences que je ne peux pas taire. Elles portent sur la conception du travail, sur l’énergie et aussi sur la politique économique.
Dans la fidélité à Pierre Mendès France, à Michel Rocard et à Jacques Delors, j’ai soutenu la politique économique de François Hollande et de ses gouvernements. Je suis persuadé que l’histoire réévaluera le bilan de François Hollande. En effet, contrairement à son prédécesseur, celui-ci a mis en œuvre une politique économique courageuse afin de restaurer la compétitivité des entreprises, de réduire la dette et le déficit, en un mot de créer les conditions pour la croissance et l’emploi. Ceux qui parlent de redressement ne peuvent ignorer que ce redressement est en cours.
Or chacun sait que Benoît Hamon s’est opposé à cette politique.
C’est pourquoi, dès le lendemain de son succès aux primaires, j’ai publié un texte par lequel, en même temps que je lui apportais mon soutien, je demandais qu’il devienne le candidat de TOUS les socialistes, et aussi de tous les électeurs et sympathisants socialistes en prenant en compte les efforts, les apports, les réussites de ce quinquennat. Je lui ai également demandé de s’adresser aux responsables des partis de gauche existant depuis longtemps, bien sûr, mais aussi aux « progressistes » – et donc au mouvement « En Marche », qui apporte de nouvelles propositions.
Je lui demandais d’œuvrer pour rassembler sans exclusive.
Je le demande toujours. Ma position est exactement celle de Bernard Cazeneuve, celle d’un soutien exigeant.
Je vois que, notamment lors de son discours de Bercy, Benoît Hamon a « infléchi » son propos. Je pense qu’il peut et doit aller au-delà.
Et, en particulier – pour être tout à fait clair – je pense qu’il est inutile et contre-productif qu’il critique à ce point Emmanuel Macron et son mouvement « En Marche ».
Pourquoi ?
D’abord, parce qu’il a déjà bien à faire – et si légitimement – pour combattre Marine Le Pen, dont le programme serait dangereux pour le devenir de notre pays et de son économie, et François Fillon, dont le programme reste puissamment conservateur, même si sa candidature est devenue pathétique.
Ensuite, parce que je ne vois pas l’intérêt qu’il y a pour Benoît Hamon à dire qu’Emmanuel Macron est le « marche pied du Front National » si d’aventure il devait nous demander d’ici quelque temps de le soutenir pour barrer la route à ce même Front National.
Enfin, parce que nombre d’électeurs – hier – de François Hollande jugent positivement sa démarche.
Sur celle-ci, je veux aussi être clair.
J’ai eu l’occasion de parler avec Emmanuel Macron avant qu’il déclare sa candidature. En fidélité à Michel Rocard, auquel il se réfère souvent, et qui fut toujours ancré à gauche – une gauche moderne et novatrice ! –, je lui ai dit mes réserves sur sa démarche, qui me paraissait contraire à notre histoire politique. Encore aujourd’hui, je me pose des questions sur la majorité sur laquelle il pourrait s’appuyer s’il était élu président de la République.
Cela étant dit, je pense que nombre de ses propositions sont réalistes et novatrices – même si je ne les partage pas toutes ! – et que, comme l’a bien dit Bertrand Delanoë, il « crée les conditions économiques pour pouvoir mettre en œuvre une politique de la solidarité » – ce qui, pour le coup, est authentiquement rocardien.
Et pour être tout à fait clair, je pense qu’il ne faut pas injurier l’avenir et que nous devrions œuvrer pour qu’il y ait une majorité à l’Assemblée Nationale unissant les socialistes et le mouvement « En Marche » et, bien sûr, d’autres encore… Préférons toujours l’ouverture à la fermeture !
Je sais que mon propos heurtera ceux qui, de part et d’autre, annoncent, prédisent et provoquent la « cassure en deux » du Parti Socialiste.
J’en vois les raisons. Cela a souvent été dit : le Parti Socialiste français n’a jamais fait, ni assumé explicitement, son « Bad Godesberg » – pour faire référence à un congrès historique du SPD allemand.
En fait, cette mutation vers la social-démocratie – œuvrer pour la justice dans une société de marché, d’initiative et d’entreprise –, nous l’avons faite peu à peu à force de gouverner, et de rectifier certains choix initiaux pour tenir compte des réalités – de 1981 à 1983 et de 2012 à 2013 par exemple.
Mais, pour ma part, je ne me résous pas à cette « cassure en deux ».
J’ai connu le temps de la SFIO déclinante, de l’UGS, du PSA, du PSU, et des clubs. Je sais combien les ruptures peuvent être rapides et combien la réunification demande ensuite de patience et de temps !
Donc, je plaiderai encore et toujours pour le rassemblement. À temps et à contre temps. Aucune fracture n’est irrémédiable.
J’ajoute que cette campagne présidentielle – et l’émergence du mouvement « En Marche » – montrent que nombre de nos concitoyens veulent voir « bouger les lignes » dans notre paysage politique. Cette aspiration est sans doute plus profonde que certains l’imaginent.
Le scrutin d’arrondissement pour les élections législatives joint à l’élection présidentielle au suffrage universel a abouti à une alternance claire entre deux blocs – majorité et opposition – qui a assuré la permanence et la solidité des institutions de la Cinquième République. Ce système a toutefois l’inconvénient d’empêcher en France des coalitions fondées sur des « contrats de législature » – pour reprendre l’expression de Pierre Mendès France, – ce qui est possible dans la majorité des pays d’Europe.
Je pense qu’il serait aujourd’hui souhaitable que cela fût désormais possible dans notre pays (ce serait cohérent avec la proposition que j’ai faite ci-dessus), mais il eût fallu, ou il faudrait, pour y parvenir, instaurer une représentation proportionnelle totale ou partielle – ce que les derniers gouvernements ont eu le tort de ne pas faire. François Mitterrand l’avait fait en 1986. Michel Rocard s’y était opposé. Et sur ce point, j’étais, et je reste, en accord avec François Mitterrand.
Un dernier mot. Beaucoup des raisonnements et des analyses que l’on entend ou lit sur les médias reposent sur les sondages. Soyons prudents à cet égard. Ceux-ci sont changeants et peuvent changer. Je regrette, de surcroît, que nombre d’instituts et de médias se refusent à appliquer les lois désormais en vigueur, suite à un long combat que j’ai mené avec mon collègue Hugues Portelli à ce sujet.
Si bien qu’il ne faut négliger aucune menace.
Et qu’en tout état de cause, ce sera un devoir impérieux pour tous ceux qui sont attachés aux valeurs de notre République, de tout faire pour éviter que le Front National ne s’installe à l’Élysée, ce qui, en dépit des sondages, est un risque réel et ce qui serait une catastrophe pour l’avenir de la France et de l’Europe.
Jean-Pierre Sueur