L’orgue est un instrument qui résonne, au plus profond de nous, avec sa magie propre, et ses « échos sonores », comme eût dit Victor Hugo, qui nous transportent depuis les musiques les plus intimes jusqu’au fracas des tempêtes telluriques.
Honoré de Balzac l’avait écrit : « L’orgue est certes le plus grand, le plus audacieux, le plus magnifique de tous les instruments créés par le génie humain. Il est un orchestre entier auquel une main habile peut tout demander, il peut tout exprimer. »
Parmi les « mains habiles », les virtuoses et les grands artistes de l’orgue figure notre ami François-Henri Houbart, natif d’Orléans, titulaire depuis 1979 du grand orgue Cavaillé-Coll de la Madeleine, ancien professeur au Conservatoire d’Orléans puis au Conservatoire régional de Rueil-Malmaison – où il a succédé à Marie-Claire Alain –, internationalement reconnu pour ses soixante-dix albums enregistrés et pour les centaines de concerts qu’il a donnés dans le monde entier et – cette qualité n’est pas la moindre ! – le meilleur connaisseur des nombreuses orgues du Loiret : il a joué sur la plupart d’entre elles et leur a consacré trois disques admirables…
François-Henri Houbart était donc, à l’évidence, le mieux placé pour rédiger cette somme, parue il y a quelques mois, sous le titre Histoire de l’Orgue en Orléanais et dans le Loiret (éditions Delatour), qui ne compte pas moins de 480 pages et nous offre un panorama complet des instruments du Loiret, de leur histoire, ainsi que des « organiers » – ancien nom des facteurs d’orgue – tels Jean-Baptiste Isnard ou Adrien Picard, dit Lépine.
Loin d’être une austère compilation, ce livre est très vivant. Il est presque, de page en page, une autobiographie de son auteur tant celui-ci n’hésite pas à s’engager pour les causes qui lui tiennent à cœur. Ainsi nous fait-il part de sa colère devant les décisions prises alors que, très jeune, il était déjà amoureux des orgues, par rapport aux instruments qui nous ont « quittés », comme « le grand orgue du XVIIe siècle de Saint-Paul d’Orléans » ou « le John Abbey de 1834 à Olivet », ou qui ont été modifiés comme l’orgue de Saint-Donatien, à Orléans, ou celui de Beaugency : « Mes interventions [dans la presse et à la radio] et mes demandes de classement – ajoute-t-il – n’y firent rien. Je n’avais alors qu’une vingtaine d’années ; c’est hélas l’âge où personne ne nous prend au sérieux. Dommage quand on se sait déjà fort impliqué parce que passionné et respectueux du patrimoine ! Je me félicite toutefois d’avoir sauvé le grand orgue de Saint-Aignan, dont la "baroquisation" avait été envisagée […]. D’autre part, Pierre Bernier, l’abbé Chausson et moi-même avons réussi à préserver le joli Beaurain de Beaune-la-Rolande, en 1992, des affres d’un prétendu facteur d’orgues (!) absolument incompétent et dangereux » (p. 68).
François-Henri Houbart nous entraîne dans l’archéologie des orgues du Loiret. Il nous apprend ainsi qu’il y eut, semble-t-il, un orgue à Saint-Benoît dès le X
e siècle et que le roi Louis XI fit son entrée à Orléans, en septembre 1461, au son d’un orgue portatif.
Il nous conte, bien sûr, l’incroyable histoire de l’orgue de Lorris, l’un des plus anciens orgues aujourd’hui conservés en France, puisqu’il date du XVIe siècle. Il se trouva que l’organiste titulaire de cet orgue, « par vengeance stupide au moment de Noël 1893 et dans un moment de folie vis-à-vis d’un organiste "concurrent", s’en prit à l’instrument à coups de couteau en le détériorant complètement. » Cet orgue resta à l’abandon pendant soixante-dix ans. Il fallut attendre les années 1970 pour que, sous l’impulsion de « Michel Chausson, véritable redécouvreur et historien de ce pur joyau », l’orgue fût enfin patiemment « ressuscité » et inauguré en 1975 par Marie-Claire Alain et Michel Chapuis (p. 140-141). C’est donc grâce à Michel Chausson que nous pouvons entendre chaque été dans la très belle église de Lorris des concerts inoubliables sur cet orgue à la sonorité étrange, à nulle autre pareille.
Un signe...
François-Henri Houbart nous conte aussi l’histoire du grand orgue de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, qui était, à l’origine, celui de la basilique de Saint-Benoît-sur-Loire. En, 1821, l’évêque d’Orléans, Mgr de Varicourt, demandait qu’il y eût « un échange entre l’orgue à clavier et trente-sept jeux de l’abbaye bénédictine et le petit orgue à deux claviers de Sainte-Croix – et ceci malgré le soulèvement des habitants de Saint-Benoît-sur-Loire, la résistance du Conseil de fabrique et de l’organiste, Simon Gaudry. » (…) « L’acheminement du grand instrument se fit par bateau, sur la Loire, et de nuit, afin d’éviter quelque émeute, en décembre 1821, sous la protection de deux compagnies de la Garde royale » (p. 174). La légende dit que lorsque le bateau qui transportait l’orgue quitta la rive, le courant se tarit, le vent tomba – et que les habitants de Saint-Benoît y virent un signe…
Tous les instruments sont décrits dans cet ouvrage, depuis le plus ancien – celui de Lorris – jusqu’au plus récent, l’orgue d’Artenay, inauguré en 2015.
On me permettra une mention particulière pour l’orgue Aubertin de Saint-Marceau (41 jeux et trois claviers) inauguré en 1999 alors que j’étais maire d’Orléans. Je puis témoigner qu’il fallut beaucoup de ténacité pour mener à bien ce projet, et je remercie mon équipe municipale de m’avoir suivi, ainsi que François-Henri Houbart qui a bien voulu écrire que « rien d’aussi prestigieux et important n’avait été fait depuis le Cavaillé-Coll de la cathédrale en 1880 » (p. 245).
Voilà donc une « somme » qui sera un ouvrage de référence et qui porte à chaque page la marque de son auteur : François-Henri Houbart s’y révèle – mais nous le savions ! – à la fois érudit, enthousiaste et généreux.
Jean-Pierre Sueur