Nous devons une grande reconnaissance à Abel Moittié, président de l’association des Amis de Roger Toulouse qui se dépense sans compter pour publier chaque année un bulletin d’une grande richesse permettant de mieux connaître l’œuvre encore trop méconnue aujourd’hui de Roger Toulouse. Ainsi en est-il du numéro de l’année 2016 qui vient de paraître.
Après cet éloge, je me permettrai de prendre une légère distance avec l’éditorial d’Abel Moittié qui écrit : « Plus je me sens affecté, infecté par la réalité, et mieux je me soigne à l’imaginaire, à l’art… thérapie, une automédication sans danger vers laquelle Roger Toulouse m’a sagement conduit. » En effet, s’il est des artistes qui aident à s’échapper des duretés du monde réel, je pense que cela ne s’applique justement pas à l’œuvre de Roger Toulouse qui, plus que beaucoup d’autres, plonge son inspiration dans le monde réel, celui de l’industrie, de l’artisanat, du monde sensible, du monde fabriqué et transformé par l’homme – du Parti pris des choses ¬ pour reprendre le beau titre de Francis Ponge –, si bien que cette œuvre renvoie constamment au réel, qu’elle transfigure évidemment, qu’elle magnifie aussi, sans pour autant le trahir.
Il faut savoir gré à Abel Moittié, de restituer dans cette revue, au travers de nombreux témoignages, la personnalité de Marguerite Toulouse, adorable compagne de Roger, dont tous ceux qui l’ont connue parlent avec respect et passion. Ainsi Raymond Leclerc nous dit que Marguerite « assurait la constance du lien chaleureux et mesuré entre les initiés, Elle ne s’en mêlait pas, elle observait ; elle ne tranchait pas, elle polissait ; elle ne dispensait ni encens, ni ortie ; elle fleurissait l’instant, puis elle s’effaçait. »
De son côté, Isabelle Klinka la décrit « la peur au ventre pendant l’occupation nazie, acharnée à résister, à aider, à soulager le plus possible autour d’elle au péril de sa propre vie, à lutter contre les difficultés de la vie quotidienne ; la pénurie de nourriture ; le plaisir de partager les repas en plein hiver 42 avec Max Jacob, qu’elle admirait beaucoup autant qu’elle portait un regard lucide sur l’homme tourmenté et son inaptitude au bonheur. »
Toujours dans la même revue, Luc Vidal restitue les poèmes de René-Guy Cadou écrits à partir de dessins de Roger Toulouse – et même les dessins faits par Roger Toulouse pour illustrer la pochette du disque reprenant les poèmes de René-Guy Cadou chantés par Môrice Bénin.
On mesure de page en page – et cela vaut aussi pour les « Dix fragments des Mémoires de l’Ombre » de Marcel Béalu évoqués dans la même revue – que le rapport à la poésie est l’une des clés essentielles pour comprendre l’œuvre de Roger Toulouse. À cet égard, Abel Moittié restitue fort justement à la fois le tableau que l’artiste fit à dix-neuf ans intitulé Le port et le poème intitulé Port écrit par lui au même âge, en même temps qu’il peignait le tableau. Je reproduis ce poème ci-dessous. On mesurera en le lisant que Roger avait autant de dons pour l’écriture que pour la peinture ou la sculpture. L’art n’eut pour lui jamais de frontières.
(Cela me fait penser à un autre artiste, Josef Nadj, pour qui l’art n’a pas non plus de frontières puisque chorégraphe et danseur de grand talent, il cultive aussi – notamment ¬ l’art de la photographie, de la calligraphie et de la sérigraphie et, d’une manière générale, les arts graphiques, comme l’illustre l’exposition qui lui est consacrée et qui vient d’ouvrir au Musée des Beaux-Arts d’Orléans.)
Je signale encore dans le même numéro de la même revue, la Confession pour une préface – texte inconnu de Roger Toulouse – dont j’extrais cette phrase qui s’applique si bien au mouvement urbain au travers des âges : « Il faut toujours construire sur des ruines ; ensuite, nous serons ruines. »
Je signale enfin les pages consacrées au décor intérieur de l’église du monastère de Bouzy-la-Forêt, de Bernard Foucher qui se considère comme « frère en esprit » de Roger Toulouse.
Jean-Pierre Sueur
PS : En outre, je signale tout particulièrement la vidéo que vient de publier l’association des Amis de Roger Toulouse sous le titre « L’ombre et l’image, éléments pour un portait de Roger Toulouse ». Ce film, écrit et réalisé par Émilien Awada, donne notamment la parole à Marc Baconnet et Anne-Marie Royer-Pantin. On trouvera un bon de commande ici.