De Jean d’Ormesson…
Jean d’Ormesson suscite un véritable engouement. Que le journal Le Monde ait cru devoir lui consacrer douze pleines pages – pas moins ! – en août dernier en est l’un des signes les plus marquants. Nonobstant, donc, la grande faveur dont il jouit désormais, j’avouerai qu’il ne figure pas parmi mes écrivains préférés et que ses articles du Figaro me sont souvent tombés des mains, en dépit de l’attachement qui est le mien à m’intéresser aux écrits de ceux qui ne pensent pas comme moi : on a toujours tort de ne lire qu’un seul journal !
Mais comme il faut savoir se défier des idées convenues ou des présupposés trop anciens, j’ai lu le dernier opus de notre auteur dont le titre – Je dirai malgré tout que cette vie fut belle – est un beau vers d’Aragon, pour me faire, ou me refaire une idée. Ce livre se lit bien. On y parcourt sinon l’histoire, du moins la vie de l’auteur. On voit que Jean d’Ormesson fut et restera un « khâgneux » et un « normalien » connaissant les artifices, les plaisirs et les grâces du style, ou plutôt d’un style. Donc, c’est bien fait. Et je le redis, cela se lit bien. Mais on voit bien que Jean d’Ormesson est au total content, et même très content, de lui-même. Et il le sait. Et il craint que cela se voie et agace le lecteur. Alors il use d’un subterfuge. Il crée, en plus de son « moi numéro 1 », un « moi numéro 2 ». Ce « moi n°2 » est censé constamment rappeler à l’ordre le « moi n°1 » et rabaisser son amour de soi. C’est, dit-il, son « surmoi ». Et c’est là que les choses se gâtent. Les psychanalystes savent qu’on ne peut pas se bâtir ainsi un « surmoi » de circonstance et de commodité. Autant certaines parties du livre sonnent juste, autant ces nombreux dialogues avec ce surmoi de pacotille sonnent faux.
… à Amélie Nothomb
Avec la régularité d’une horloge, Amélie Nothomb publie un roman chaque année au mois de septembre. Nous en sommes au vingt-cinquième. Et comme la légende dit qu’elle prend de l’avance, peut-être nous laissera-t-elle le jour de sa mort – le plus tard possible – une malle entière de livres qui pourront ainsi paraître longtemps après, chaque année, lorsque le mois de septembre reviendra. La littérature, c’est bien connu, permet aux auteurs de vivre encore quand ils sont morts.
Mais venons-en au livre de cette année. Il s’intitule Riquet à la houppe. C’est donc le vingt-cinquième. Et – est-ce un effet de la lassitude ou de l’habitude ? – j’ai constaté que, cette fois-ci, il y avait des critiques plutôt négatives. J’ai donc lu ce livre, pour en avoir le cœur net. Et je dois dire – ou plutôt écrire – que j’ai aimé cette fable. La fable est un art difficile. Celle-ci raconte l’histoire de Déodat et de Trémière. C’est une histoire philosophique. Déodat a la candeur du Candide de Voltaire. Il ouvre de grands yeux. Ceux-ci tombent sur la télévision. Nous voilà au passé simple : « Déodat essaya de se concentrer sur ce qui était dit. À peine commençait-il à comprendre le sujet abordé que celui-ci changeait. L’unique point commun entre chaque thème était un genre d’ennui sinistre. Des publicités plutôt amusantes interrompirent ce pensum, mais après ce fut pire. Il y eut une dispute entre plusieurs individus qui parlaient chacun au nom de la France comme si elle leur appartenait. Il avait dû se passer quelque chose de grave dans un épisode précédent. »
Trémière aime les oiseaux. Ce livre est l’un de ceux qui parlent le mieux des oiseaux (je sais qu’un livre ne parle pas). Il nous apprend aussi des vérités « peu connues », comme celle-ci, qui est romantiquement enseignée à Trémière : « Les bijoux, pour rester magnifiques, ont besoin d’être portés très souvent. Et quand je dis portés, cela signifie aimés. Un bijou porté sans amour peut se ternir d’un coup. Moi qui te parle, j’ai vu ma propre mère éteindre à jamais un diamant qu’elle avait accepté par vanité d’un homme qu’elle n’aimait pas. »
Je n’en dis pas plus. Je ne cite pas plus. Je pense simplement – et cela n’engage que moi ! – que ce vingt-cinquième livre est l’un des meilleurs.
Jean-Pierre Sueur