Soyons clairs. J’entends des paroles et je lis des écrits qui ne me paraissent pas dignes de ce qu’est la France, de ce que sont nos valeurs, de ce qu’est son histoire, au sujet du droit d’asile. Et il est incohérent de célébrer les idéaux de Jeanne d’Arc comme ce fut justement fait ce 8 mai à Orléans si on ne s’insurge pas contre ces paroles et ces écrits.
On a donc lu et entendu qu’un « rapport » de la Cour des comptes, qui a opportunément « fuité » dans Le Figaro, « démontrerait » que le droit d’asile nous coûterait « trop cher ». Il aurait fallu, en conséquence, « convoquer » d’urgence la Cour des comptes devant le Sénat, ou l’une de ses commissions. L’ennui est que ce rapport n’existe pas. Il s’agit d’observations provisoires. Et le rapport ne sera rédigé et adopté par la Cour des comptes que lorsque le pouvoir exécutif aura répondu… La polémique a donc fait long feu.
Qu’il soit nécessaire d’améliorer les procédures qui permettent de statuer sur les demandes d’asile et puis sur les recours, c’est tout à fait vrai : tel est d’ailleurs l’objet du projet de loi présenté par Bernard Cazeneuve, adopté par l’Assemblée Nationale et dont le Sénat va se saisir très prochainement. Il faut réduire les délais, souvent trop longs. Et il est juste, d’ailleurs, de souligner les efforts accomplis à cet égard ces dernières années tant par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) que par la CNDA (Cour nationale du Droit d’asile), grâce aux créations d’emploi qui avaient, jusqu’alors, été refusées.
Mais je tiens à dire à ceux qui veulent tenter d’exploiter les dépenses liées au droit d’asile à des fins politiciennes que leur discours est totalement démagogique et le sera davantage dans les temps à venir. Et cela pour trois raisons.
- La première ne tient pas aux circonstances. Elle tient aux principes. Il y a une politique de l’immigration : elle procède légitimement de choix politiques que l’on peut – et que l’on doit – discuter. En revanche, il n’y a pas une politique de l’asile, mais un DROIT d’asile qui est régi par la Convention de Genève de 1951. Dont la France est signataire et qui dispose que tout être humain torturé ou maltraité en raison de ses convictions dans quelque pays que ce soit a droit au statut de réfugié.
- La seconde tient aux drames qui conduisent des centaines de milliers, et même de millions, d’êtres humains à fuir leur pays. Je pense aux chrétiens d’Orient et à tous ceux, de toutes convictions, qui fuient le régime de terreur et d’horreur instauré par Daesh en Syrie et en Irak et par des groupes qui, ailleurs, partagent les mêmes sinistres pratiques. Il y a en Turquie entre 1,5 et 2 millions de réfugiés syriens. Il y en a 1,5 million au Liban qui – je le rappelle – compte un peu plus de quatre millions d’habitants. Comment penser, comment feindre de croire, comment défendre l’idée que l’Europe, qui compte 500 millions d’habitants – et qui en d’autres temps a accueilli de très nombreux « boat people » – ne devrait pas faire son devoir par rapport à des êtres humains qui cherchent refuge ?
- La Méditerranée – on l’a beaucoup vu et dit, hélas ! – est devenue un cimetière. Devant la multiplication des drames, l’Europe a réagi. Des moyens ont été mis en œuvre pour sauver les êtres humains en perdition sur des bateaux qui sont des cercueils navigants pour le plus grand profit des passeurs. Mais tous ces êtres humains dont on sauve heureusement la vie, que vont-ils devenir ? Va-t-on se contenter de dire que c’est à la seule Italie de s’en débrouiller ?
Face à ces drames, il y a bien sûr beaucoup à faire, dans plusieurs directions. Il faut lutter contre le terrorisme. La France prend toute sa part dans cette lutte nécessaire. Il faut mettre fin à trop de crises, agir pour le développement. Cela appelle aussi des réponses au sein de pays d’Afrique où la misère augmente aussi, mais pas pour tout le monde, hélas !
Tout cela est vrai.
Mais ce qui est sûr, c’est que, s’il faut améliorer les procédures, faire en sorte qu’elles soient moins longues, etc., on ne fera pas d’économies pour la mise en œuvre du droit d’asile – qui est un devoir !
Tous les discours contraires sont, je le redis, pure démagogie – et tournent le dos aux valeurs qui font que la France est la France.
Jean-Pierre Sueur
>> Lire le rappel au règlement de Jean-Pierre Sueur au Sénat le 16 avril
.