C’est un livre qu’aimeront ceux qui aiment Orléans. Il vient de paraître aux éditions qui se dénomment, « Le Guépin ». Il a pour auteur Jean-Benoît Puech, qui fut longtemps enseignant à la faculté de lettres d’Orléans.
C’est un livre qui coule de source. Il raconte sans ambages, en un récit enlevé, explicite, dépourvu de fioritures, une enfance et une adolescence orléanaises – et même un peu plus.
C’est un livre qui – a priori – détonne parmi les ouvrages de Jean-Benoît Puech qui nous a souvent offert une littérature très élaborée, tournant autour d’un personnage lui-même écrivain, Benjamin Jordane – dont on apprend dans le dernier opus que le patronyme vient d’une rivière, la Jordanne, qui coule à Aurillac, ville natale de Jean-Benoît –, et dont la biographie nous est elle-même livrée par un autre écrivain présenté comme fictif : c’est une œuvre où l’être se dédouble, se dédouble encore, se regarde, se cherche, se perd et se trouve inlassablement.
Et finalement, je pense qu’en vérité, ce récit de jeunesse ne « détonne » pas, contrairement aux apparences. Il nous livre des clés. On y apprend que le jeune Jean-Benoît est sensible aux paraboles, « c’est-à-dire au fait qu’un récit peut avoir un ou plusieurs sens cachés. »
Comme Pérec, Jean-Benoît est également sensible à la réalité des « choses vues » : maisons, rues, places, monuments, commerces, paysages… C’est la réalité charnelle, oserai-je dire, de l’Orléans d’il y a quelques décennies qui se déploie sous nos yeux.
On retrouve ainsi les magasins d’Orléans aujourd’hui disparus, les brasseries, les cinémas… On retrouve les paysages – Saint-Marceau, Olivet, le Clos de Lorette, La Source, les Tourelles de Marcilly-en-Villette.
Et puis les livres. Et, bien sûr, les librairies, dont « Les Temps Modernes ». Jean-Benoît Puech écrit à son propos : « Le nom de la librairie n’évoquait pas pour moi la revue de Sartre, un écrivain dont le roman La nausée m’avait bel et bien écœuré et dont je n’aimais pas du tout la philosophie (…) J’ai compris tardivement que la librairie était "de gauche", mais cela ne m’a pas plus gêné que de découvrir à vingt ans la sensibilité "de droite" de la collection "Signe de piste" adorée de mon enfance (…) C’est pourquoi, de premier client de cette librairie, j’en suis devenu le plus assidu. »
Cette référence aux « Signes de piste » m’a frappé, pour avoir jadis dévoré ces livres : lorsque l’on est dans une idéologie, on ne le sait pas. L’objet de toute formation digne de ce nom est de nous apprendre à poser un regard critique sur toute idéologie (un regard critique au sens d’Emmanuel Kant, bien sûr). C’est d’ailleurs un sujet d’une brûlante actualité.
Jean-Benoît Puech évoque aussi l’APAC, l’association créée par Marcel Reggui que l’on peut considérer comme le foyer vivant à partir duquel toute la vie culturelle orléanaise s’est déployée au fil du temps. Que ce soit pour moi l’occasion de déplorer la manière dont est aujourd’hui traitée l’Association pour le théâtre aujourd’hui à Orléans (ATAO), elle-même issue de l’APAC, et pionnière de la vie théâtrale à Orléans.
Mais revenons au livre. Je ne veux pas ici tout déflorer. Je dirai seulement qu’il se lit d’une traite – surtout lorsque l’on aime Orléans.
Et afin d’en persuader ceux qui en douteraient, je citerai pour finir deux passages d’une belle écriture.
L’un concerne le quartier Saint-Marceau : « Il reste encore une ou deux venelles, trois ou quatre cèdres et bon nombre de jardins. Certains sont si profonds que les allées impénétrables semblent se glisser, à travers les ronces et les roses sauvages, vers le pays perdu. »
L’autre concerne l’ancien théâtre qu’une municipalité a funestement fait démolir pour y substituer l’actuel « Centre municipal » : « Ravissant théâtre à l’italienne avec sur quatre ou cinq niveaux, ses labyrinthes de couloirs doublés de miroirs troublés comme des boudoirs par des regards furtifs. Sombres seuils oniriques. Hautaine mais inutile salle aux sages banquettes couvertes de velours cramoisi, quinquets au garde à vous dressés vers le grand lustre en bouquets de diamants, palmes dorées grimpant sur de fins bois sculptés et lourd rideau pourpre, plafond peint de gracieux motifs mythologiques sur fond de ciel baroque. J’adorais ce temple de l’alexandrin. »
Jean-Pierre Sueur
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