Pour en avoir été souvent le témoin, je puis écrire que si Pierre Mauroy a autant marqué, c’est d'abord en raison de la bienveillance qui était la sienne à l'égard de tous ceux qu'il côtoyait. Il ne reniait pas ses idées. Il les défendait avec force. Mais il ne blessait pas, n'humiliait pas l'adversaire politique qui, pour lui, n'était jamais un ennemi.
Combien de fois m'a-t-il parlé de ma famille, de mes proches, de nos projets, de ses soucis et de ses espoirs ? Il le faisait simplement, naturellement.
Il est une seconde raison qui explique que Pierre Mauroy ait autant marqué. Elle tient à son enracinement dans la réalité humaine, ouvrière, socialiste, du Nord. Je revois cette photo qui le montre revenant dans la petite commune où il a passé son enfance, Haussy, après avoir été nommé Premier ministre. Tous les habitants sont là, autour de lui, avec lui. Il est avec eux. Il connaît les ouvriers, les mineurs, les femmes qui viennent chaque matin très tôt des communes minières pour travailler dans les lainières de Roubaix. Il porte en lui toute une histoire sociale. Quand il parle des "gens du château", il sait bien ce que cela signifie. Et quand dans sa dernière intervention au Sénat il parle de la retraite à soixante ans et des ouvriers qui – en patois – ne pouvaient plus "arquer, cela sonne juste, même si Pierre Mauroy – il le dit – sait que l'on vit désormais plus longtemps, mais aussi que l'espérance de vie n’est pas la même selon la tâche accomplie.
Une troisième raison explique la forte marque que laisse Pierre Mauroy : c'est son réalisme. Pierre Mauroy est, profondément, un réformateur. Sa fidélité au socialisme l’incite toujours à "aller vers l’idéal" mais, pour cela, "comprendre le réel", pour reprendre les mots de Jean Jaurès. Il refuse le dogmatisme. Il est attaché au réalisme économique, à l’initiative, à l’esprit d’entreprise. En 1979, au congrès de Metz du Parti Socialiste, il choisit de soutenir les thèses de son ami Michel Rocard contre celles de François Mitterrand. Cela n’empêchera pas François Mitterrand de le nommer Premier ministre en 1981. En 1983, Pierre Mauroy joue un rôle essentiel lorsque le choix est fait d’ancrer la France dans l’Europe et de refuser de quitter le système monétaire européen. Son action, et celle de Jacques Delors, sont à ce moment-là, déterminantes.
Social-démocrate assumé, Pierre Mauroy était infiniment attaché à l’Europe. Ses conceptions social-démocrate, son ardeur réformatrice, n'étaient en aucun cas, pour lui, une forme de socialisme modéré ou affadi. Non : il pensait que la fidélité à l'idéal nécessitait qu'on change les choses concrètement. Il l'a montré dans sa ville, sa Région, dans toute son action nationale et internationale.
Pour finir, je veux parler de Pierre Mauroy tribun, dans les réunions publiques. Il commençait de parler presque à voix basse. Et puis, peu à peu, la voix s'enflait. Il charriait toute l’histoire sociale de la France. Ses bras, ses mains, accompagnaient inlassablement le propos. Il récusait pourtant la démagogie, et n'omettait jamais de revenir aux réalités du temps présent.
Pierre Mauroy avait choisi d’intituler l’un de ses livres "Héritiers de l’avenir". Un beau programme.
Jean-Pierre Sueur
A propos de Pierre Mauroy, Jean-Pierre Sueur a déclaré à l’AFP le 7 juin : « Pierre Mauroy était un ami très chaleureux, enraciné dans le socialisme du Nord, profondément européen et réformateur. Il aurait été heureux d’apprendre hier soir l’inscription dans la loi par le Sénat de la Métropole européenne de Lille pour laquelle il s’est tant battu ».
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