Paritaire, pour la première fois dans notre histoire, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault incarne le renouveau. Nouvelles têtes, nouveaux projets : ce changement correspond assurément à une attente. J’espère vivement qu’il pourra s’appuyer à l’Assemblée Nationale sur une majorité. C’est l’enjeu des législatives. Il est important : qui prétendra que la meilleure façon de présider et de gouverner la France serait d’instaurer la cohabitation pour cinq ans ? Et qui ne voit qu’une telle issue se traduirait par le retour aux orientations politiques qui ont été mises en œuvre durant les cinq dernières années ?
S’agissant, justement, des nouvelles orientations nécessaires, du nouveau cap de l’action publique que portera ce gouvernement, il y a, bien sûr, les soixante propositions sur lesquelles François Hollande s’est engagé et qui seront mises en œuvre.
On me permettra de signaler en outre un livre paru il y a quelques semaines qui, en cette période marquée par la campagne électorale, est passé un peu inaperçu et que je trouve très éclairant sur les défis qui attendent le nouveau gouvernement. Il s’intitule Mes points sur les i : propos sur la présidentielle et la crise (éditions Odile Jacob) ; il est signé Michel Rocard – et préfacé par François Hollande.
On le sait, Michel Rocard fait preuve d’une constante énergie, d’une forte vitalité. Il dérange depuis longtemps. Il surprend (pourquoi est-il allé en Iran ?). Mais il a le mérite d’avoir beaucoup œuvré pour renouveler les conceptions – et la pratique – de la gauche, et toujours travaillé sur les enjeux et défis de demain et d’après-demain. Il a écrit beaucoup de livres. Celui-ci est l’un des plus construits, clairs, étayés.
Michel Rocard dresse un tableau sans concession de la crise qui sévit depuis 2007. Avec « 10% de chômeurs, 25 millions de travailleurs précaires et 5% de pauvres », c’est « un tiers de la population des pays développés qui est en grave déstabilisation sur le marché du travail ».
Il explique les causes de la crise : le triomphe du monétarisme ; l’aberration des « produits dérivés » ; la finance déconnectée de l’économie ; les entreprises davantage pilotées par les actionnaires, « une collectivité de rencontre […] parfaitement extérieure à l’entreprise » et dont « l’option ne peut être que patrimoniale », que par l’intérêt des salariés ; etc.
Il propose des réponses : « En interdisant aux banques centrales de faire des avances gratuites de fonds aux Etats impécunieux, ce qui se révèle aujourd’hui tragique et a conduit à l’enrichissement des banques » […] « les banques privées, dont la spéculation a créé la dangereuse situation actuelle, trouvent l’argent dont elles ont besoin pour éviter le défaut de paiement à six cents fois moins cher que l’Espagne et le Portugal » […] « Mais la BCE a le droit de prêter à des établissements publics européens. Pourquoi ne prêterait-elle pas à 0,01% à la banque européenne d’investissement qui reprêterait aux Etats à 0,02% ? » […] « Il y a de l’espace pour une politique financière audacieuse et efficace. »
Michel Rocard aborde dans ce livre nombre d’autres sujets : la réforme de l’Etat, la décentralisation, le dialogue social, le temps de travail, la politique de l’environnement et de l’énergie, le nucléaire civil et la prolifération du nucléaire militaire de par le monde… Je ne peux tout résumer. Sur tous les sujets, il parle clair et « vrai ». « Parler vrai » fut longtemps son idéal affiché. Il l’est toujours.
Dans sa préface, François Hollande écrit que, même s’il n’est « pas d’accord sur tout » […] « Michel Rocard a le souci du monde et c’est cela qui tresse la trame de ce grand livre d’analyse et de propositions » […] « C’est dans ce sillon que je m’inscris. C’est dans ce sillon que l’avenir s’écrira. Michel Rocard l’a creusé depuis longtemps ».
Jean-Pierre Sueur
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