Nous voici donc réunis, devant cette cathédrale au cœur de notre ville d’Orléans, ville fidèle, rassemblée depuis près de six siècles autour de la figure de Jeanne – elle qui paraissait la faiblesse même, et qui fut plus forte que les soi-disant puissants, qu’ils fussent d’un ordre ou d’un autre. Ces soi-disant puissants ne le lui pardonnèrent jamais.
Ce fut une belle idée, Monsieur le Maire, que de convier ceux qui exercèrent cette mission de maire d’Orléans, qu’ils fussent présents physiquement ou par la force de l’esprit et de la mémoire, à se rassembler en ce jour afin qu’Orléans fût pour une fois l’invitée de nos fêtes. J’y ai souscrit immédiatement.
Je n’ignore ni le contexte, ni les circonstances. Mais il y a toujours un contexte et des circonstances.
Il y eut récemment et il y aura bientôt des échéances importantes pour notre République. Toutes les échéances suscitent des débats. Nous y défendrons chacun nos convictions en toute clarté. Pour passionnés, vifs et parfois âpres qu’ils puissent être - nous en savons quelque chose –, ces débats ne doivent jamais nous faire oublier ce qui nous rassemble, comme ne l’ont pas oublié, le 8 mai dernier, deux présidents de la même République, présents côte à côte à l’Arc de Triomphe, ce monument qui magnifie la mémoire de tous ces héros méconnus, innombrables, dont nous ne savons pas le nom et qui sont morts pour notre liberté. Ce qui nous rassemble ici c’est Orléans, traversant les siècles dans la fidélité à des valeurs inaltérables.
Charles Péguy a décrit, dans les premiers alexandrins qu’il écrivit, Jeanne prise d’effroi devant la misère, parlant ainsi de ses contemporains :
« Les voici repartis sur la route affameuse
Tous nos efforts sont vains, nos charités sont vaines
Tous ceux-là que j’aimais sont absents de moi-même ».
Jean Jaurès évoque à son tour cette même misère. Pour lui, Jeanne d’Arc était l’« humble fille des champs qui avait vu les douleurs et les angoisses des paysans qui l’entouraient mais pour qui ces détresses mêmes n’étaient que l’exemple prochain d’une douleur […] plus vaste, la douleur de la royauté dépouillée, de la nation envahie […]. Elle vivait d’autant mieux avec la grande communauté de la patrie qu’elle pouvait sans trouble emplir l’horizon silencieux d’une douleur et d’une espérance qui allaient au-delà ».
N’oublions jamais ceci. Jeanne s’est levée pour le droit, et contre l’injustice. Son message est un message de justice. C’est aussi un message de respect, respect dû à tout être humain quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, quelle que soit la couleur de sa peau, qu’il soit ami ou ennemi.
C’est ici, à Orléans, puis à Rouen, qu’André Malraux a proclamé que Jeanne avait « donné au monde la seule figure de victoire qui fût aussi une figure de pitié ». En chaque être humain, Jeanne voit toute l’humanité. L’humanité souffrante. L’humanité bafouée. L’humanité espérant au bonheur et à la joie. Ne l’oublions pas, Jeanne se sera battue jusqu’à la dernière heure pour qu’on respecte chaque être humain, chacun, chacune, et d’abord les plus faibles. Son étendard est celui de l’humaine fraternité.
C’est en pensant à cela que nous pouvons tous ensemble dire et redire avec et après tant d’autres : que vive Orléans et que vive la France !
Jean-Pierre Sueur
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