Je ne saurais trop recommander la lecture du dernier livre de Robert Badinter, qui vient de paraître aux éditions Fayard.
Dans ce livre, Robert Badinter fait le récit des cinq années durant lesquelles il fut garde des Sceaux et ministre de justice, de 1981 à 1986.
Le récit commence quelques jours après l’adoption par le Parlement de l’abolition de la peine de mort, le 30 septembre 1981. Il y a une double explication à ce choix qui pourrait paraître étrange. D’abord, Robert Badinter a déjà beaucoup écrit sur l’abolition de la peine de mort : il y a consacré plusieurs livres. Mais il est une autre raison. Dans la mémoire commune, cette loi emblématique a pris, à juste titre, une place si grande qu’elle a laissé dans l’ombre tout le reste, c’est à dire cinq ans de combat acharné pour « une certaine idée de la justice », cinq ans de combat qui méritaient assurément d’être mis en lumière.
Car, en cinq ans, Robert Badinter a impulsé nombre de réformes : suppression de la Cour de sûreté de l’Etat et des tribunaux militaires ; abolition du délit d’homosexualité ; amélioration de la condition pénitentiaire ; moyens accrus pour la prévention, la protection judiciaire de la jeunesse et la justice des mineurs ; meilleure reconnaissance des droits des victimes ; possibilité pour les citoyens français de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme ; collégialité de l’instruction ; création d’archives audiovisuelles de la Justice ; augmentation de l’aide judiciaire ; amélioration des procédures d’indemnisation des victimes de la route ; réforme des faillites…
Cette liste est loin d’être exhaustive. Il faudrait, en particulier, y ajouter le lancement de la réforme du Code pénal, qui ne verra le jour qu’en 1994, et, bien sûr, la ratification par le Parlement du VIe protocole annexe de la Convention européenne des droits de l’Homme, le 20 décembre 1985, qui devait rendre irréversible l’abolition de la peine de mort..
Robert Badinter est un écrivain passionné comme il est un orateur passionné. A le lire, on l’entend – comme j’ai le privilège de l’entendre souvent au Sénat -, concentré sur son discours, tenace, cherchant l’efficacité dans le propos, fuyant les fioritures, faisant corps avec sa conviction.
On découvre aussi – si on ne le savait – combien les épines précèdent les roses, selon l’ordre emblématique du titre de l’ouvrage.
A la Chancellerie, tout fut difficile, de 1981 à 1986, comme s’il fallait, quand bien même cela n’était pas dit, que le ministre expiât chaque jour l’abolition de la peine de mort.
L’opposition de l’époque ne fit aucun cadeau. Robert Badinter note :
« Nous étions, à leurs yeux, les occupants sans titre des palais nationaux, les fruits d’une sorte d’égarement temporaire de la Nation ! ».Ce gouvernement fut, le premier, accusé d’encourager l’insécurité quand bien même les actes et les faits démontraient le contraire. Procès récurrent qu’analyse froidement Robert Badinter qui insiste sur les mesures prises pour développer la prévention, accroître la sécurité publique, indemniser les victimes. Mais il eut beau faire et dire : les préjugés étaient là.
Et puis une satisfaction à la fin de l’ouvrage : la reconnaissance enfin.
J’insisterai, pour finir, sur deux points sur lesquels – je puis en témoigner – Robert Badinter continue de se battre aujourd’hui avec la même ferveur qu’hier.
La justice des mineurs d’abord et l’attachement absolu à l’esprit de l’ordonnance de 1945 :
« Le jugement des mineurs est complexe. A considérer l’acte, c’est un délinquant qu’il faut punir. A regarder son auteur, c’est encore un enfant ou un adolescent que l’on peut sauver (…). L’enfant délinquant est d’abord un être en devenir ».Second point : les prisons. Sur ce sujet, Robert Badinter entre dans les détails. La prison, explique-t-il, est un
« milieu criminogène ». La condition pénitentiaire est la première cause de récidive. La surpopulation carcérale aggrave les choses. Il faut profondément réformer cette condition pénitentiaire afin que sa finalité soit la préparation de la sortie de ceux qui s’y trouvent.
Mais il faudrait tout citer : ce livre est une leçon d’humanisme en politique.
Jean-Pierre Sueur
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